Chapitre 14

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Respirer l'aidait à rester calme. Shu-an avait attendu, enchaîné dans une geôle dont la fraicheur laissait ses marques sur sa peau blanche. Il devait parler à Saya, mais elle ne venait pas ; il attendit encore, convaincu de sa défense, agacé des possibilités qui s'offraient naturellement à lui. Arrêté, piégé, l'idée que Saya pense que tout était de sa faute et qu'il ait été violent si gratuitement déplaisait.

Souffle nasal. Bien entendu, ce n'était pas impossible que Shu-an ait quelques moments d'égarements... sa nature se reconnaissait toujours dans les massacres, le sang répandu dans la neige en dernier affront de certains Dieux Locaux. Il régnait pourtant une différence tragique entre le possible et le véritable. Shu-an rêvait de crever les barreaux qui l'enfermaient, mais se retint jusqu'à ce qu'enfin le cloc d'une paire de talons féminins ne le ramènent à cette réalité. Saya restait digne, bien que fermée au moment de pénétrer dans la geôle ; le mercenaire démoniaque y lisait sans mal une dureté inconnue jusque là. Il ne préféra pas se défendre, pas pour l'heure, son expérience lui ayant appris que les humains ne changeaient pas d'avis au moment où ils s'étaient persuadés de quelque chose. Il souffla du nez, discrètement, les yeux grands d'espoir que Saya lise quelque chose que les autres auraient ratés.

Il ne savait pas d'où son besoin de reconnaissance sortait. Il savait juste que cette humaine là possédait quelque chose que les autres ne connaissaient pas ; et ça lui suffisait pour endurer les remarques et la culpabilité qu'on souhaitait lui poser sur les épaules, sans lui laisser raconter sa version d'une histoire ancrée dans l'hiver. Il rassemblait les meilleurs mots dans sa tête en attendant de pouvoir prendre la parole ; une colère bouillant irradia ses veines quand on les interrompit ; et malgré sa lenteur à venir le voir, Saya s'éclipsait sans même un dernier regard pour lui.

La porte des geôles glissaient à nouveau sur le côté pour l'enfermer. Blasé, le démon en resta pantois, jouant de ses poignets encordés. L'attente était invivable, d'autant que sa perception étendue lui faisait deviner les prémices d'un combat houleux ; le village était attaqué. S'il s'échappait, que penserait ces humains dont il avait gagné une confiance relative ?

«Foutaises, se rappela-t-il amèrement.»

De confiance il n'en avait qu'égaré la branche ; preuve étant que certains tentaient de faire croire à une agression primaire dans l'espoir de se débarrasser de lui. Et Saya, au milieu de sa lutte pour une autorité qu'elle n'obtenait elle aussi que partiellement, s'apprêtait à tomber dans le panneau. Un nouveau souffle nasal, mais Shu-an ne se libérait toujours pas. Il ne prit pas le temps de réfléchir à ce que cela voulait dire de son opinion sur l'humaine, puisque deux personnes arrivèrent en trombe dans les geôles. Sa curiosité se redressa de même que son dos. Il ne reconnait pas les faciès tâchés de sang et de poussière ; le premier ne prend pas le temps de se présenter qu'il enfonce le cul de sa lance dans l'estomac du mercenaire. Shu-an contracta ses muscles, sans empêcher la douleur de se répandre dans son organisme et de lui couper le souffle.

«Bah alors, tête de pigeon, on peut pas se défendre, là, hein ?»

La voix était jeune, à peine sortie de la puberté, avec ce crissement qui pourrait être celui d'un caillou sur de l'ardoise. Quand Shu-an leva la tête pour le regarder dans les yeux, une botte au coin de sa mâchoire le tourna dans l'autre sens.

«Pense même pas à te barrer, pauv' déchet !

- Ce n'était pas prévu, grogna l'intéressé.»

Un nouveau coup, plus vicieux ; deux doigts enfoncés vivement entre ses côtes. L'agresseur était plus grand que son acolyte, mais pas moins colérique. Shu-an ne devinait que des yeux bleus empreints d'une haine viscérale à son encontre.

«T'as pas trop de raisons de nous prendre de haut, là, subitement, hein, sale étranger !»

Son sourire lui vint malgré lui ; Shu-an en reprit pour conséquence un coup de poing qui lui délogea une dent.

«On peut savoir ce qui te fait rire ? râcla le jeune à la lance.

- De toutes les insultes, vous me traitez d'étranger...»

Une hésitation chez ses agresseurs, Shu-an en profita pour basculer sa tête légèrement en arrière. Il devinait l'effroi soudain chez les deux hommes ; les vilains n'aimaient généralement pas que leur victime garde leur calme.

«Serait-ce vous prendre de haut que de ne pas vous connaître ?»

Il ne compta pas les coups, ni les hématomes qui se multipliaient. Les railleries reprirent avec le goût de l'indécision ; un peu comme Shu-an qui avait discrètement défait les liens à ses poignets et qui hésitait à se redresser pour égorger les malvenus.

«Non... mauvaise idée, souffla-t-il.

- Qu'est-ce qu'il raconte, le dégénéré ?

- Que je ne vais rien faire. Saya découvrira votre vraie nature... oui. C'est la meilleure chose à faire, croire en sa décision.»

Les humains le mettaient pourtant à l'épreuve. Satisfait de son interprétation, l'un des deux imbéciles eut la bonne idée de sortir une lame de l'enfoncer dans l'abdomen de Shu-an. Sa pression artérielle bondit ; il dut freiner les muscles de ses jambes pour ne pas sauter et mordre au sang la gorge étendue du premier malfrat. Toute sa bonne volonté manqua de s'effondrer, et les échos moqueurs d'une certaine renarde se rappelèrent à lui dans une cacophonie absurde. Les humains ne méritaient rien d'autres que d'être traités comme du bétail ; boeufs, poulets, cochons, ils n'en avaient parfois pas la jugeotte nécessaire à leur propre survie ; les tuer leur rendait service.

Shu-an n'y croyait pas ; mais son sang en appelait un autre. Il gronda, ouvrit la bouche où ses canines s'allongeaient encore de manière discrètes ; quand la porte des geôles émit un grincement.

Fendyel apparut dans l'encadrement de la porte, le regard... étrange.

«Qu'est-ce que tu fais là ? demanda le deuxième homme, plus grand.

- Je viens vous aider.»

Son ton neutre, son air de fouine triangulaire, ses petites lunettes qui le gênait pour se battre ; Shu-an n'aimait pas Fendyel mais en cet instant, la surprise le fit douter. Devait-il réellement les massacrer tous les trois ?Quelque chose ne collait pas. Les deux hommes armés eurent l'air le croire, au vu du sourire malsain qui partait d'une oreille pour aller jusqu'à l'opposée du compagnon de côté. Shu-an observa le sang se répandre à ses cuisses ; il ne tenait pas spécialement à son pantalon, mais c'était un tissu que Saya lui avait présenté la semaine de son arrivée.

«Bon, on en était à...»

Shu-an cligna des yeux ; le plus vieux était au sol, du sang dans les cheveux. Un bref regard derrière lui pour identifier le responsable, qui n'était autre que Fendyel. Une masse avait du être laissée dans le couloir, puisqu'il la tenait dans les mains. Shu-an fut surpris de trouver un air presque confus sur les traits de Fendyel, comme s'il était surpris de sa propre action. L'homme restant se retourna, lance au poings, hurlant une insulte incompréhensible. L'appel résonna dans le métabolisme accéléré du démon qui se redressa, attrapant le gamin par la nuque. Il le projeta contre la paroi de la cellule une première fois, puis une deuxième, avant d'enfoncer son poings dans son ventre en pénitence de ce qu'il avait eut l'audace de faire subir. Le gosse perdit connaissance rapidement ; si Fendyel n'était pas là, Shu-an aurait adoré éviscéré les malpropres ; mais un calme résolu le fit s'accroupir pour attraper les cordes qui le tourmentaient depuis la nuit dernière.

«On les attache, commenta Fendyel.

- Ouais.»

Hésitation.

«Merci.»

Hochement de tête. De nouveaux pas dans les couloirs ; Shu-an reconnu immédiatement l'odeur de Saya. Il serra plus fort qu'il ne l'aurait souhaité les cordes aux poignets de ses agresseurs, comme si cela lui permettrait de se retourner plus vite pour la voir. Idiotement rassuré de voir l'inquiétude et non plus la dureté sur son visage fin.

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⏰ Last updated: Dec 24, 2023 ⏰

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