Chapitre 2-1

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*Bunker de la forêt*


Le projectile traversa la pièce, manquant ma tempe de seulement quelques centimètre avant d'aller percuter le mur de béton dans une explosion de plastique.

— Martyriser le matériel ne t'aidera pas à avancer plus vite !

— Peut-être mais ça me calme les nerfs !

— Si tu le dis, commentai-je en m'asseyant sur le coin d'une table, tout en regardant Jude faire rageusement les cent pas entre les murs gris et terne de notre refuge.

Le bunker semi-enterré, niché au creux des bois, appartenait à Thomas et son clan de métamorphes loup. Nous avions sauvé ce dernier, ainsi que plusieurs autres métamorphes, lors des évènements m'ayant amené à rencontrer l'inspecteur Gabriel Worth. Depuis, cette communauté exclusive avait bien évolué, abritant désormais tous les non-humains qui en avaient besoin. Mais aussi reconnaissant que nous pouvions l'être envers Thomas et les siens, cette situation, qui ne devait être que temporaire, s'éternisait et la condition semi-enterrée de notre abri, commençait à peser sur les nerfs de tout le monde. Particulièrement sur les nôtres, dont les animaux avaient besoin d'espace et d'apercevoir le ciel pour se sentir bien. Mais c'étaient surtout nos échecs successifs pour retrouver River et les autres métamorphes captifs qui mettaient la patience de Jude à rude épreuve.

— Ce n'est pas possible ! Tu es certain que tes contacts sont fiables ? attaqua-t-il Worth à la seconde où ce dernier entra dans la pièce.

— Autant que je peux l'être, répondit-il sans se démonter, habitué à l'humeur orageuse de notre ami depuis la chute du refuge des chutes.

Il effleura mes lèvres d'un baiser tout en me tendant un mug, avant de déposer celui de Jude sur le bureau.

— Je sais que tu ne veux pas entendre parler de cette option, mais...

— Tu ne vas pas remettre ça sur le tapis ?! Il n'est pas mort ! S'ils avaient voulu le tuer, il l'aurait fait lors de l'attaque. Ou ils s'en seraient vantés. Il est en vie, quelque part... Il ne nous aurait jamais laissé tomber, je ne le ferai pas non plus.

Worth me lança un regard lourd de sens. Cela faisait déjà trois longues semaines que nous cherchions en vain où il pouvait être détenu. Jude connaissait River mieux que moi, mais ce dernier avait toujours été léger et fanfaron, je n'étais pas aussi certaine que lui de son dévouement à notre égard.

— Mon contact vient de me recertifier, qu'il n'est dans aucun des camps de détention principaux.

— Il n'a accès qu'aux fichiers informatiques, ton contact ! persifla Jude. Des données numériques ça se falsifie facilement.

— Oui, mais dans quel but ? Tu sais ce que je pense depuis le début. Si River est, comme tu le crois, bien détenu quelque part, c'est certainement dans un camps de l'armé.

— Nous n'avons aucune preuve qu'ils existent toujours, ces soi-disant camps ! Mais si tu as raison et connaissant ces ordures, ils doivent être certainement aussi bien cachés que l'eau dans la Sahara.

— Justement, je ne sers pas juste à apporter le café, lui rétorqua Gabriel, un sourire victorieux au coin des lèvres. On a peut-être une piste.

— Où ? demanda aussitôt Jude en revenant à la carte punaisée sur un coin de mur.

— Dans le nord de l'état. Une ancienne mine désaffectée qui connait un regain d'aller et venues suspectes depuis quelques semaines. L'info vient juste de remonter, on l'a eut presque en direct.

D'une démarche mesurée il rejoignit Jude et ficha une punaise rouge dans le haut de la carte.

— C'est à quoi... à peine trois heures d'ici, en voiture ? calcula Jude en farfouillant déjà dans le fatras de cartes routières amoncelées sur la table nous servant de bureau.

— Holà, t'emballe pas. C'est une piste, mais il faut encore vérifier l'information et...

— Rien ne nous empêche d'aller y faire une petite reconnaissance, le coupa Jude en lissant sa trouvaille sur le dessus du tas. Il est... à peine dix heures du matin, vérifia-t-il rapidement sur l'écran de son portable. Cela nous laisse tout le temps de nous organiser et de trouver des volontaires d'ici la nuit.

— Jude, ralentit un peu...

— Non, cela fait des semaines que nous tournons en rond et c'est la première piste que nous ayons. Alors je vais la suivre, avec ou sans toi !

— Tu en as parlé à Christina ?

L'air de la pièce sembla se raréfier soudain, et mon souffle se bloqua une fraction de seconde dans ma poitrine. Une bourrasque souleva tous les papiers amoncelés, en répandant certains sur le sol.

— Ne doute pas une seule seconde que si Christina le pouvait, elle serait ici, avec nous, grogna Jude d'une voix sourde.

— Je le sais très bien, renchérit aussitôt Worth, pas du tout intimidé par le regard noir du métamorphe fixé sur lui. Mais elle ne serait certainement pas d'accord pour que tu risques ta vie bêtement sans même prendre le temps de vérifier tes informations.

— Tu te targues de connaître ma femme mieux que moi, maintenant ?!

— Tu sais bien que non. Comme tu sais pertinemment que j'ai raison.

« Tu aurais raison, s'il y allait seul, en mission suicide, comme il en a le secret. »

La voix de Christina, légèrement déformée par le haut-parleur de mon téléphone, fit sursauter Worth et arracha un demi sourire satisfait à Jude.

« Mais une reconnaissance planifiée avec vous en renfort, même si Féline me prie de vous dire que vous ne nous arrivez pas à la cheville, ça se tente. Surtout si River à une chance d'être là-bas. »

La grimace suivit de peu le soupir et le regard agacé que me lança Worth en se retournant vers moi.

— ça c'est un coup bas, murmura-t-il avec un demi sourire, alors que Jude jubilait, le regard de nouveau fixé sur ses cartes.

— Merci pour ton aide, Chris, c'est toujours un plaisir, lui dis-je en souriant même si elle ne pouvait pas me voir.

« Plaisir partagé, même si Féline me dit de te dire de faire gaffe à tes plumes ! »

Je coupais la conversation, le sourire toujours aux lèvres, tandis que Gabriel s'esclaffait dans son coin. Il est vrai que les relations entre Christina et moi n'avaient pas démarrées dans les meilleures conditions. Mais nous apprenions doucement à nous connaître et à apprivoiser nos différences.

— Bel exemple de solidarité féminine, souligna Jude en pliant sommairement la carte qu'il avait choisie. Pour une fois que c'est en ma faveur, j'approuve, ajouta-t-il avec un clin d'œil, la main sur la poignée de la porte. Vous serez des nôtres ce soir ?

— Bien sûr, répondis-je avant que Worth n'ait eu le temps de desserrer les lèvres.

Un rictus de soulagement étira brièvement la bouche de Jude tandis qu'il s'éclipsait sans un mot de plus. Le silence s'installa dès la porte refermée. D'ordinaire, je l'aurais ignoré et laisser s'enraciner jusqu'à ce que Gabriel réagisse. Pourtant, cette fois-ci, c'est moi qui le rompis la première.

— Je sais que tu désapprouves son impulsivité mais nous ne pouvions pas le laisser y aller seul, quand même ?! attaquai-je sans pouvoir m'en empêcher.

— Est-ce que j'ai dit quelque chose ?

— Ton regard a suffi.

— J'aurais seulement préféré que tu ne répondes pas pour nous deux sans me consulter. 

Insurrection- Elémental Tome 2Where stories live. Discover now