Chapitre 1

138 12 4
                                    

Les vrombissements du train et le paysage défilant dans la fenêtre conspiraient à me faire dormir.

Aller à Paris en Train Express Régional prenait environ trois à quatre heures, et mine de rien, le temps semblait s'étirer dans l'espace-temps dans la cabine de ce moyen de locomotion.

J'avais emmené avec moi un article ; celui de Van Dine, expliquant à sa manière les différentes règles régissant le roman policier. Gina avait raison : ces règles expliquaient celles de Knox et les mettait en perspective.

Mais elles ne répondaient toujours pas à la question qui me hantait depuis cette affaire dans laquelle j'avais exorcisé un démon sévissant dans l'église de ma belle : comment la coupable avait-elle pu conduire ses crimes en respectant les règles de Knox alors qu'elle ne les connaissait pas ?

Je m'en étais assurée : Déborah n'avait probablement jamais entendu parler de ces règles. La vérité dans son visage et ses expressions corporelles ne mentaient pas.

Et ainsi, mon esprit était depuis tourmenté par ce questionnement, ce tourbillon d'interrogation et de théories et d'hypothèses sans queue ni tête que j'utilisais pour tenter de remettre de l'ordre, du sens dans mon cerveau confus.

Pour l'instant, la seule explication que je pouvais utiliser pour expliquer les meurtres inexplicables était la suivante : la coupable n'était qu'une paire de main comparé à un cerveau plus dangereux et qui connaissait ma vie assez en profondeur pour tuer en utilisant Knox.

Je pensais qu'avec la mort de celui que je considérais comme mon père, M. Lamine, la folie des meurtres et des énigmes grandeur nature s'était éteinte. Mais apparemment, il n'y avait pas que lui qui inventait ces « jeux grotesques. »

D'autres personnes étaient infectées par ce même virus, et s'étaient ligués contre moi pour que je résolve leurs énigmes. Une coïncidence ne pouvait pas relier tous ces marionnettistes ensemble !

Pour qu'ils agissent avec autant de similarité, ils devaient forcément faire partie d'un tout plus large.

— C'est quand... qu'on arrive à la Voie Lactée ?

La voix somnolente de ma lady ronronna. Elle roupillait dans le siège en face de moi, et avait parlé dans son sommeil. J'ignorais qu'elle sorte de rêve devait ainsi la tourmenter, mais le sujet de son songe devait tourner autour d'un long trajet, probablement entre deux destinations farfelues, au lieu des nôtres, plus banals.

J'aurais bien voulu avoir des rêves de nature fantastique comme les siens. Moi, je venais de me réveiller d'un cauchemar. Mes démons ne souhaitaient pas me donner de répit. Me voir souffrir devait les faire rire.

Elle était belle même en dormant dans une position propice à semer un torticolis, et même avec le filet de salive s'échappant de ses lèvres colorées de pourpre. Une couleur qui lui allait merveilleusement bien, par ailleurs.

Estelle gagnerait à être plus élégante, bien sûre, mais je l'aimais quand même. La somme de ces petits défauts constituait son charme et son charisme à tout rompre. Jamais je n'aurais pensé tomber aussi éperdument amoureuse. Je l'aimais précisément parce qu'elle n'écoutait rien à mes conseils en matière de savoir-vivre, comme pour ses habits, par exemple.

Mais sur ce point, je devais reconnaître que je manifestais de l'hypocrisie. J'étais là première à admirer la peau sombre que je demandais qu'elle couvre.

Probablement mon côté possessif qui écrasait tout le reste quand je faisais ces remarques.

Le cou maltraité de ma belle en eut marre d'être plié dans des positions inédites, et signala à l'hôte du corps qu'il était temps de se réveiller et de soulager la souffrance lancinante.

Béret Écarlate et le Cirque à ParisWhere stories live. Discover now