L'attente

7 0 0
                                    

Il faisait nuit noire dans le petit appartement et le petit garçon restait assis et immobile sur le canapé. Il regardait fixement le ventilateur dont les pales tournaient paresseusement. Il comptait les tours. Un tour... deux tours... trois tours... On aurait pu croire qu'il s'ennuyait, mais un œil avisé sera à même de remarquer sa posture trop crispée, les traits tirés de son visage et la lueur hantée de ses yeux. Il ne s'ennuyait pas, il avait peur. Alors il comptait. C'était un conseil qu'elle lui avait donné. Se concentrer sur quelque chose permet d'en oublier momentanément une autre.

Mais le petit garçon ne savait pas compter au-delà de soixante-neuf. Alors, quand il eut fini de compter soixante-neuf tours de ventilateurs, il se mis à compter les voitures qui passaient dans la rue. Il était presque qu'une heure du matin alors il n'y en avait pas beaucoup, mais quand elles passaient, elles faisaient entrer par la petite fenêtre donnant sur la rue un rayon de lumière bienvenu qui chassaient les ombres aux formes monstrueuses sur lesquelles le petit garçon essayait de ne pas s'attarder. Il pourrait allumer une lumière, mais il était bien trop tétanisé. Il avait l'impression que s'il se levait il tomberait aussitôt, écrasé par la peur qui agissait comme un manteau de plomb. Il avait cette certitude irrationnelle que si jamais il devait bouger d'un centimètre, alors il se pourrait qu'elle ne revienne pas. Il devait être sage et ne pas attirer l'attention, sinon ils auraient des ennuis. Elle le lui avait souvent répété. Et il suivait ses instructions à la lettre. Sinon, elle pourrait décider de ne plus jamais revenir. Il se retrouverait tout seul... Non, non, non. Il fallait compter. Il reposa les yeux sur le ventilateur au mouvements réguliers, prévisibles et donc rassurants et recommença à compter depuis le début. Un tour... deux tours... trois tours...

Il sursauta violemment quand un bruit nouveau brisa le silence de l'appartement, jusque-là uniquement perturbé par le vrombissement doux du ventilateur. Son cœur s'accéléra brusquement avant de se calmer. Ce n'était que le ronronnement du frigo qui s'était mis en marche. Fausse alerte. Sa posture commençait à être désagréable. Le raidissement de son dos se faisait de plus en plus sentir, mais il était bien trop stressé pour pouvoir se reposer sur le dossier. Sa peur l'épuisait, mais la seule idée de s'endormir et de manquer le moment où elle arriverait l'horrifiait assez pour garder ses yeux ouverts. Non, il ne pourrait dormir que lorsqu'il serait sûr qu'elle était rentrée.

Le temps semblait englué tellement il passait lentement. Durant ces longues heures où il l'attendait, on aurait dit que les secondes s'étiraient comme du miel qui coule. À contrario, ses pensées sprintaient dans sa tête, le ramenant sans cesse à son angoisse malgré le fait qu'il tentait de se concentrer sur les nombres. Sa peur était comme une pelote de laine emmêlée qu'un chat s'amusait à tripoter et à constamment ramener sur le dessus de sa conscience.

Il avait souvent tenté tenter de la convaincre de l'emmener avec elle pour éviter ce moment d'attente atroce, mais elle avait toujours dit non. Elle n'avait pas le droit, lui disait-elle. Tu dois être patient. Et il s'efforçait de l'être. Cependant, dès qu'elle partait, il avait l'impression que leur petit appartement se vidait de toute son aura si chaleureuse qu'il avait lorsqu'elle était là. Le silence devenait agressant, les murs semblaient se rapprocher dans le but de l'écraser, l'air s'épaississait et devenait glaciale. Le paradis se transformait en enfer.

La tension grimpait en lui, les chiffres s'embrouillaient dans sa tête, il n'arrivait plus à compter. Ne devrait-elle pas déjà être rentrée? Il lui semblait qu'il attendait depuis plus longtemps que d'habitude. Ou peut-être n'était-ce que son imagination? Il pourrait aller voir le cadran dans sa chambre, mais il était toujours incapable de bouger. Il vivait cela tous les jours et pourtant il ne s'y habituait pas, à cette peur. Comment faisait-on pour ne pas devenir fou lorsqu'on se mettait à compter le temps entre deux moments?

Et brusquement, la lumière fût. Il se leva aussitôt pour la serrer dans ses bras, le soulagement envahissant tout son corps engourdi par la peur tandis qu'elle le saluait avec un sourire dans la voix. Elle était là, elle était enfin là. Oui, elle était rentrée, mais il savait que demain encore il craindrait qu'elle ne rentre pas.

L'attenteWhere stories live. Discover now