II- Agilité et coup de poignard

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Hadrian


- Promets-moi que tu seras prudent.

- Mais oui, ne t'en fais pas, comme toujours !

Malgré les mots rassurants de son frère, Hadrian n'était pas confiant. Les combats d'arène duraient depuis l'avant-veille, et chacun avait déjà subi son lot de mauvaises surprises. Nombre de combattants avaient déjà été écartés de la lice, ayant été blessés, vaincus ou, plus simplement, tués. Et c'était bien cette dernière réalité qui arrachait des frissons glacés au grand mercenaire alors que Jaden posait le pied sur le sable détrempé.

Obéissant à des années de pratique, Hadrian vérifia d'un coup d'œil l'état du sol, du ciel et de leur environnement. Habituellement, les deux frères se battaient en tandem, mais aujourd'hui, ce serait parfaitement impossible. Il s'était déjà battu, plus tôt dans la journée, et avait bien entendu vaincu son adversaire, une jeune femme à l'allure guerrière et aux accents du sud se battant comme une tigresse des sables. Machinalement, le mercenaire passa la main sur les bandages serrés sur sa cuisse, le blanc immaculé se tachant encore de rouge en cas de mouvement trop brusque.

Ce combat lui avait coûté, mais au moins, il était sûr de recevoir la fameuse mission de la bouche même de l'empereur, ayant vaincu tous ses ennemis.

Mais pas Jaden. Il lui en restait encore un. Et cette maudite pluie qui n'en finissait pas ! Depuis la veille au soir, le ciel avait ouvert les vannes et ne semblait pas vouloir laisser ce monde en paix avant de l'avoir noyé ! Grommelant contre les cieux, les dieux et les hommes, Hadrian ne quittait pas pour autant le jeune homme des yeux. Son port altier lui permettait d'avoir ses entrées dans à peu près n'importe quel salon mondain, ce qui n'était pas un avantage négligeable pour deux mercenaires à la retraite tuant le temps en jouant aux voleurs pour les plus offrants.

Ils n'étaient pas mauvais, et s'ils devaient être vraiment honnêtes, ce qu'ils étaient rarement, ils diraient même et sans fausse modestie, qu'ils étaient ce qui se faisait de mieux sur le marché en ces temps troublés. Leur sang-froid et leur symbiose parfaite en faisaient une équipe à la fois redoutable et redoutée.

Mais aujourd'hui, le sang-froid d'Hadrian était mis à mal, piétiné par l'angoisse et relégué au fin fond des oubliettes de l'impuissance. Se rongeant spasmodiquement les ongles, il ne cessait de faire les cent pas que pour s'asseoir dix secondes, secouer nerveusement le genoux droit, puis se relever comme un beau diable pour reprendre son manège.

Depuis toujours, il était aux côtés de Jaden, son petit frère arrivé sur le tard. A sa naissance, Hadrian avait déjà attaqué sévèrement sa dix-septième année. Par un miracle prodigieux, son père avait réussi à engrosser sa nouvelle femme, qui était malheureusement morte en couche, pour laisser sur les bras d'Hadrian un petit garçon braillard aux grands yeux noirs.

Depuis lors, ils veillaient l'un sur l'autre, se sortant de mauvais pas, se précipitant joyeusement vers les ennuis et vivant d'aventure et d'eau sale.

Revenant à l'instant présent, le mercenaire aux ongles désormais désespérément courts, fixait l'adversaire de son frère, qui venait de faire son apparition dans l'arène.

Grand, svelte, élancé, sec comme un coup de trique sans pour autant être maigre, l'inconnu aurait pu être le reflet parfait de Jaden s'il n'avait eu des traits aussi laids. Gros nez tordu et brisé à maintes reprises, une oreille écorchée, une cicatrice sur la joue gauche et les cheveux courts en bataille, il n'avait, finalement, rien en commun avec le jeune voleur et sa longue chevelure couleur de nuit, ses grands yeux noirs en amande, sa peau d'albâtre et ses traits si fins qu'on penserait - à tort - pouvoir briser son joli minois d'une simple chiquenaude. Face à ce visage disgracieux, Hadrian baptisa d'office l'affreux "Joe La Balafre", surnom somme toute assez évocateur.

Chroniques des Trois Empires - T.1 Le prince banniHikayelerin yaşadığı yer. Şimdi keşfedin