I - Combat d'arène

10 3 0
                                    

Kihrin

L'attente était insupportable. Les meuglements de la foule en liesse résonnaient comme autant de rugissements de dragons à ses oreilles. Durant toute sa vie, Kihrin avait apprit à se battre dans le silence le plus absolu, rapide et insaisissable comme un souffle de vent, imperceptible comme la nuit qui tombe doucement, la discrétion devenant le maître-mot, l'évidence, la seule chose à laquelle il aspirait.

Combattre en plein jour, sous le feu des projecteurs, était donc tout à fait contraire à sa nature, à son entraînement et à sa vocation. Un assassin de son calibre ne s'amusait pas à saluer la foule à visage découvert. Pourtant, aujourd'hui, il devait se battre dans ces conditions hors-norme. Telle était la volonté de son maître, celle de l'Empereur, et donc, la sienne. Il n'avait pas le droit à l'erreur. Jamais. La déception du comte Nathan Al Meythia de Castell était la seule punition que Kihrin se refusait de subir. La honte de son maître serait le fardeau de son serviteur.

Aussi, le jeune demi-elfe s'enjoignait-il au calme, inspirant profondément pour expirer tout aussi paisiblement, s'efforçant de garder son sang froid. Le poids rassurant des poignards dans son dos et à ses bottes le rassurait plus qu'il n'aurait osé l'avouer. La chaleur écrasante de cette journée d'été faisait ruisseler son front de sueur alors même qu'il n'avait pas encore mis un pied sur le sable brûlant de l'arène où la foule applaudissait la victoire d'une femme rayonnante de fierté, son épée teintée de rouge pointant droit vers le ciel, comme un défi lancé aux dieux eux-mêmes.

Ce serait bientôt son tour. Il le sentait dans tout son corps, son sang ruant dans ses veines et son cœur battant à tout rompre comme un étalon lancé au galop.

- Kirhin de la maison Al Meythia ! lança le contremaître.

Le demi-elfe se leva tranquillement, maître de lui-même et de ses réactions. S'il était tendu, personne ne devait le percevoir. Sa vie avait été forgée dans cette optique : le rendre imperméable à toute distraction, ne le laisser concentré que sur sa cible. S'approchant d'un pas tranquille de l'homme trempé de sueur dont l'haleine fétide manqua de le faire reculer, le jeune homme présenta ses armes. L'homme les examina un instant, vérifiant qu'elles n'étaient pas enduites d'un quelconque poison, puis vérifia le brassard du jeune Monstre.

Kirhin avait beau chercher dans sa mémoire, il ne se rappelait pas un seul instant durant lequel il aurait été dépourvu de ce brassard bleu ciel marqué d'une étoile blanche à quatre branches. Il faisait partie de lui, tout comme sa Marque d'Appartenance, gravée à même sa peau d'enfant, alors qu'il n'appartenait pas encore au comte Al Meythia.

- Demi-elfe de l'Air, Kirhin, Al Meythia ! annonça le contremaître au héraut, qui présenta alors les deux duos de combattants suivant alors que Kirhin s'exposait enfin à la terrible ardeur estivale sur le sable gorgé de chaleur et de sang.

A peine entré dans l'arène, Kihrin savait déjà à quel monstre il devrait faire face. Une tête de lion aux crocs de serpents, le corps recouvert d'un pelage hirsute et rêche de bouc, des pattes avant démesurément longues aux allures simiesques, des pattes arrière semblables à celles d'un tigre et, plus dangereux encore, une immense queue recourbée de scorpion, terminée par une pique enduite d'un poison mortel et foudroyant. Une manticore.

Le combat n'était pas encore lancé que, déjà, les yeux porcins et cruels de la créature fixaient le jeune esclave avec convoitise. Ce combat ne se règlerait pas au premier sang. Pas tant que cette bête pourrait encore se dresser sur ses pattes ou armer un coup de sa terrible queue empoisonnée. Dédaignant un instant son adversaire, le demi-elfe balaya l'assemblée du regard à la recherche du seul être qui comptait réellement. Lorsqu'il reconnu finalement son maître, il ne put retenir un frisson d'impatience. Assis là, sous un dais mêlant or, noir et grenat, couleurs de sa maison, siégeait Nathan Al Meythia, comte de Castell, son regard plus pâle que l'hiver le plus glacial souligné de khôl promettant un spectacle à la hauteur de sa légende à un homme assis un peu plus bas. Peut-être un opposant politique. Peut-être un noble déplaisant. Peu importait. Il ne faisait pas partie du cercle très restreint des êtres pour lesquels son maître nourrissait du respect, il n'en nourrirait donc pas plus à l'encontre de cet inconnu.

Chroniques des Trois Empires - T.1 Le prince banniWhere stories live. Discover now