Prologue

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L'Erudit


Je me présente. On m'appelle l'Erudit, et aucun nom n'a jamais plus compté à mes yeux que celui-ci, car il reflète ce que je suis, ce que j'aspire à être et devenir.

Mais qu'importe.

J'ai été recommandé par l'Empereur d'Eïshana lui-même afin de consigner dans cet ouvrage le chapitre qui suit. Ce que vous allez découvrir s'est, je vous l'affirme, déroulé sous le regard des Dieux et des Hommes. Ne sera consigné en ces lignes que la plus pure et stricte vérité, je m'y engage.

Aussi, commençons.

Cette page de notre Histoire s'ouvre en l'an de grâce 1737, à l'aube du mois d'Ekdall, déesse de la guerre et du combat. En ce jour, l'Empereur Alexandre Al Aesma d'Eïshana avait fait parvenir à tous, nobles, manants et esclaves libérés, une missive dans laquelle il appelait tout propriétaire d'esclaves, tout homme libre et désireux de montrer sa force, sa vaillance et sa loyauté envers l'Empire, à s'affronter dans un combat d'arène pour se voir offrir une opportunité hors du commun : recevoir une mission spéciale de la part de l'Empereur en personne. Si cette mystérieuse mission était menée à bien, les vainqueurs et héros de l'Empire seraient gracieusement récompensés. De l'or, des services, la liberté, tout serait à portée de main pour qui entrerait dans les bonnes grâces de l'Empereur Alexandre.

Bien entendu, de tout l'Empire, l'on vint s'inscrire pour ce combat. La liste d'hommes libres souhaitant se battre pour leur souverain s'allongeait cependant moins vite que la liste des esclaves inscrits par leur maître, consentants ou non. L'Empereur avait précisé dans sa lettre que, en cas de décès d'un esclave durant les combats, son maître serait intégralement remboursé. Il n'y avait donc aucune crainte à avoir !

Une semaine avant le début de l'événement, les rues d'Erdriya, capitale d'Eïshana, étaient déjà bondées. On ne trouvait plus une seule auberge, taverne, grange ou venelle qui ne déborde de monde, assiégées par les futurs combattants et les curieux.

Le jour précédant l'ouverture des combats, une telle énergie bouillonnait dans l'air que la garde impériale dût intervenir plus en une seule journée qu'en un mois complet ! Bagarres, vols, ivrognes sur la voie publique, meurtres "accidentels"... personne ne s'ennuya ce jour-là.

Puis vint le Grand Jour. La foule était si dense, si bruyante, si nombreuse, que je peine à trouver les mots me permettant de vous la décrire. Les enfants, afin de ne pas être emportés ou étouffés par la populace, étaient hissés sur les épaules de leurs parents. Les jeunes gens escaladaient tout ce qui pouvait l'être, chariots, toits, carrosses, afin de pouvoir observer l'ouverture des immenses portes de métal gravé de la colossale arène de pierres blanches. Les anciens étaient bousculés par tout un chacun, peinant à garder l'équilibre. Les plus malins se glissaient dans le sillage des gardes en patrouille qui sillonnaient la foule, évitant ainsi de finir écrasés.

Car le bilan de cette journée, avant même l'ouverture des combats, s'élevait déjà à onze morts. Ecrasés, étouffés, les pauvres bougres n'avaient pas pu s'extirper à temps de cette vague meurtrière de chair et de sang.

Puis les portes s'ouvrirent, et la foule se densifia encore plus, faisant monter le nombre de cadavres à une vingtaine, si ma mémoire est exacte. Une femme a même du être évacuée d'urgence, la pression et la chaleur étouffante ayant entraîné son accouchement prématuré !

Lorsque tous furent finalement entrés, lorsque les gradins de pierre furent bondés et incapables d'accueillir le postérieur d'un nourrisson, les portes furent refermées, et l'on patienta dans un brouhaha digne d'un champ de bataille. Chacun parlait plus fort que son voisin, tentant de se faire entendre dans le tonnerre assourdissant de milliers de conversations.

Puis vint l'Empereur. Son arrivée, annoncée par les vingt trompettes éclatantes, transperça les hurlements de la foule et tous se turent. Lorsque le souverain apparut enfin, sous le dais de velours vert dressé au-dessus d'un siège magnifiquement ouvragé, taillé au cœur-même d'un saule pleureur, la foule n'y tint plus. Ses rugissements redoublèrent, puis éclatèrent plus encore lorsque l'Empereur lui adressa un vague signe de la main, son visage parfait se fendant d'un sourire poli à l'adresse de tout un chacun, tandis que son regard argenté volait par-dessus les visages de l'assistance. La faible brise de cette écrasante journée d'été souleva un pan de la cape d'un vert émeraude chatoyant, dévoilant ses chausses savamment étudiées pour que les fils d'argent scintillent au soleil, tandis que sa veste de vert, d'or et d'argent mêlée, rendait le lion sur sa poitrine presque vivant.

Cela dura plusieurs minutes, jusqu'à ce que le souverain s'assoit enfin et que, d'un simple geste de la main, fasse revenir un silence digne d'un Temple.

Puis le héraut prit la parole.

- Chers amis, nobles, dignitaires et paysans, amis d'ici et d'ailleurs, fiers citoyens de notre glorieux Empire, vous êtes aujourd'hui réunis ici pour montrer votre dévotion à l'Empereur et au bien de notre Cité sacrée !

Rugissement de la foule. Silence. Le héraut reprit.

- Pour vous aujourd'hui, l'Empereur a invité les meilleurs combattants de notre ère pour une série de combats sans merci ! Le sang va couler aujourd'hui, mais a-t-on jamais connu une victoire qui ne soit colorée de rouge et de vermillon ?

- NON ! hurla la foule en liesse.

- Chers citoyens, amis proches ou étrangers, aujourd'hui, les meilleurs éléments de l'Empire s'affronteront pour avoir l'insigne honneur de se voir désignés pour une mission de la plus haute importance, tenue secrète par l'Empereur et les dieux eux-mêmes ! Pour le bien de l'Empire, je vous demande d'accueillir comme il se doit nos deux premiers duos de combattants !

Rugissement, exclamations, tsunami d'une foule en délire.

- A ma droite, Natacha Grimbert, nous venant de la lointaine cité de Milhandia, combattra Kellian Dridzell de la cité de Barros dans un combat à l'épée !

Le public hurla son approbation pendant qu'entraient deux autres inconnus sur le sable brulant de l'arène.

- A ma gauche, Saggio, loup-garou appartenant au seigneur-marchant Sébastian Maaz de la cité de Volkaor, combattra Maëlle, naga appartenant au baron Nathanaël Al Ojihug de Zorhias !

La foule rugit à nouveau son contentement alors que les combattants se mettaient en place.

Bientôt, le sable de l'arène se tinterait de rouge, se gorgeant du sang des vaincus, se repaissant de la sueur des vainqueurs.

Chroniques des Trois Empires - T.1 Le prince banniWaar verhalen tot leven komen. Ontdek het nu