Cœur Obscur [Tome 2]

| Chapitre 21 |

Comme si elle semblait se raviser, elle rehausse son menton et reprend :

— Cette tempête qui fait rage au fond de toi. Cette tempête qui te consume et te rapproche un peu plus à chaque fois de la folie, je peux l'entendre. Elle gronde en toi comme le ferait ton loup.

Usant de mes forces en dépit des protestations de mes muscles encore raides, je me force à me redresser et j'ancre davantage mon regard dans le sien.

— Ce n'est pas ce que vous comptiez me dire. Dites-moi ce à quoi vous pensiez à l'instant.

— Tu es bien plus qu'une âme torturée par son passé, Jasper. Tu es bien plus que cette souffrance que tu t'infliges, que tu te fais subir sous cette montagne de remords et de haine que tu éprouves envers toi-même en guise de punition. Ton temps est compté. Et tu ne fais que l'accélérer.

Ma bouche se ferme, résolument scellée. Une fois de plus, Bonnie lit à travers moi avec une facilité qui dépasse tout entendement. À nu, je ne peux rien nier sans que cela ne soit inutile et je ne peux rien lui cacher non plus. J'ignore même si cela est ne serait-ce que possible.

— Cette haine est ce qui te conduira à ta mort, fils de la Lune. Cesse cette folie avant qu'il ne soit trop tard.

— Vous me demandez l'impossible.

— Tu es l'âme sœur de mon fils, tu ne peux mourir pour ce qui est passé et ce qui n'est plus. Tu dois vivre. Pour toi, comme pour lui.

Alors que j'allais réfuter ce fait, presque comme un mécanisme de défense, elle me devance :

— Garde ta salive. Tu pourras dire autant que tu le souhaites que tu n'es pas son partenaire destiné, que mon fils se trompe et court après une chimère, cela ne fonctionnera pas avec moi. Je vois bien plus de choses que tu ne peux en comprendre. Et ce lien que vous partagez ne m'est pas invisible. Il brille sûrement plus que tu ne pourrais le croire.

Cette fois, c'est à son tour d'accrocher mon regard et de m'empêcher de le fuir. Elle me piège en son sein et avec elle, je ne peux qu'éprouver ce lien si spécial que je partage qu'à demi avec Lincoln.

Comme sorti de sous l'eau, tout ce que je réfrène à son égard monte en moi. Ce besoin d'être auprès de lui, ce désir puissant de le faire mien. Ce futur manque, brutal et douloureux, de notre séparation à venir... Tout cela est si fort en cet instant que je ne peux les ignorer.

Mais même ainsi, je ne peux les accepter.

— Tu as tout intérêt à rester en vie. Ton loup et ton côté homme sont séparés l'un de l'autre depuis bien trop longtemps. Cette dissonance qu'il y a au fond de toi prend plus de place jour après jour. Tant que vous ne serez pas reliés, cette fin est inéluctable.

Piqué, victime de cette impuissance que je ne peux contrôler, mes poings se serrent.

— Arrêtez de fouiller à l'intérieur de moi, grondé-je, menaçant.

— Il n'est pas nécessaire pour moi de chercher. Tu me donnes déjà tout ce que je veux savoir, fils de Freya et d'Alaric de la triste meute Améthyste.

Il n'en faut pas plus pour qu'un grognement roule bruyamment dans ma gorge. Ces noms, je ne peux plus les entendre. Ils sont bien trop douloureux. Et chaque fois, derrière eux, une multitude de hurlements et de douleur s'éveillent.

C'est bien trop dur de faire face à une telle réalité. De réaliser une fois de plus que je n'ai plus rien.

— Jasper.

La voix de Lincoln m'interrompt dans la foulée. Bonnie ne détourne pas les yeux et se contente de me fixer en retour, nullement impressionnée.

— Tes griffes. Tu abîmes mon précieux canapé.