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Yukie se tourna vers Kuroo et lui sourit. Ça faisait du bien. De son côté, Kuroo ne montrait rien. Ils venaient tous d'assister à une connerie de rituel macho où il n'avait était question que d'esbroufe, de « gueule » ; et Kuroo gardait la sienne ostensiblement fermée. Pourtant, il marchait au pas, suivait le mouvement... Au lycée, Yukie faisait partie de l'équipe de volley. Elle se rappelait encore comment c'était quand une école se déplaçait. La méfiance. La crainte. Les regards par en dessous. Quelle équipe avait le plus de chances de gagner ? Quelles joueuses fallait-il surveiller en priorité ? Bien sûr, la situation n'était pas tout à fait comparable puisque ici tout le monde était censé appartenir au même camp. N'empêche, ça se jetait quand même des regards en coin. Pour sa part, elle se fichait pas mal de savoir qui commanderait lors de la prochaine bataille. Kuroo n'aurait pas été plus mauvais qu'un autre, ou même Bokuto, pourquoi pas Jackson. Qu'importe. De toute manière, le résultat serait le même : une lutte sans merci, au corps-à-corps, contre une flopée de farouches adultes putrides.
Pas vraiment Waterloo.
Inutile de planifier l'opération avec autant de minutie que pour, disons, le jour J.

En outre, Yukie se désintéressait totalement de cet aspect des choses. Si elle était à la tête des enfants d'Holloway, c'était presque à son corps défendant. Ça s'était passé comme ça, après la mort de Daichi, voilà tout. Entre autres parce que personne n'avait montré le moindre désir d'assumer cette responsabilité. Bokuto était bien meilleur guerrier, mais il ne voulait pas commander. Tout ce qui l'intéressait, c'était d'avoir les mains libres et de pouvoir persifler depuis le dernier rang. Par chance, aujourd'hui, elle partageait cette responsabilité avec Kuroo. Là encore, tout s'était passé spontanément, le jour où, sur le chemin du palais, les deux gangs rivaux d'Holloway avaient fusionné en un seul. Kuroo possédait cette fierté virile qui semblait animer tous les mâles à quelques exceptions près. La hiérarchie, le pouvoir comptaient plus pour lui que pour elle. La seule chose qui préoccupait Yukie, c'était survivre, et faire en sorte que ses amis survivent aussi. Qu'importe le moyen. Elle ne se souciait pas davantage de son apparence ni de ce que les gens pouvaient penser d'elle. Pour Kuroo, c'était différent. Il avait grandi dans un environnement dur où seule comptait l'impression que vous donniez. Un monde où la question du statut était centrale. Cependant, pour en avoir discuté avec lui, elle savait qu'il n'était pas mécontent qu'un autre que lui assume le commandement général, du moment qu'il gardait le contrôle de ses troupes.

Elle savait que Kai était à peu près dans la même disposition d'esprit. Kenji généralissime, ça lui convenait. Kai était un intellectuel, un politique, pas un guerrier. Nic, pareil. Leur pouvoir, ces gens-là ne le gagnaient pas sur le champ de bataille.
Restait Ushijima. Ushijima était un chieur. S'il refusait de jouer le jeu, eh bien il serait mis sur la touche. Ses troupes faisaient-elles une différence ? À côté de la division de la Tour, il était permis d'en douter. D'autant que Yukie n'avait jamais été tellement convaincue par sa soi-disant unité d'élite, dans son blazer rouge d'enfant de bonne famille. Elle sourit en repensant à la manière dont Ushijima s'était retiré, sur la pointe des pieds. Comme un symbole, le détachement passa devant lui, debout au bord de la route, qui tirait la tronche. Au fond de lui, il était conscient de sa défaite.

Si Yukie était impressionnée par la discipline et l'organisation des enfants de la Tour, elle l'était encore davantage par leur arsenal. Ils portaient des armes à feu, de vraies lances, des épées, des armures, pas des machins bricolés maison à partir de trucs récupérés à droite à gauche dans la rue, comme ce que pouvaient posséder les enfants d'Holloway. Non, de véritables armes de guerre. Et puis il y avait Kenji Futakuchi. L'autorité incarnée. Marrant comme les garçons qui essayaient à tout prix de se donner des airs de durs finissaient toujours par ressembler à des dictateurs d'opérette, pathétiques et risibles. Pas de ça avec Kenji. Lui n'avait pas besoin de jouer la comédie car il était sûr de son pouvoir. D'ailleurs, il ne serait venu à personne l'idée de contester son autorité.
Yukie pensait sincèrement qu'ils avaient des chances d'y arriver maintenant. Affronter les adultes et gagner. Malgré tout, pour l'instant, cela restait abstrait. Une armée de crevards massée non loin d'ici ? Elle avait du mal à le croire. C'était si calme ces derniers temps. Si une bataille devait avoir lieu, alors quand ? Combien de temps devraient-ils attendre ?

Une partie des Verts, le régiment de Matt, quitta la colonne. Celui-ci avait insisté pour avoir la permission de s'installer à la dure dans l'abbaye, qui se trouvait juste derrière le Parlement, en compagnie de ses plus fervents fidèles. Les autres, les plus jeunes, les moins dévots ainsi que les combattants qui souhaitaient participer à l'entraînement avaient opté pour le relatif confort et la sécurité des musées. Ainsi avait-il était décidé que les nouveaux arrivants s'installeraient au Victoria et Albert, où ce n'était pas la place qui manquait. Yukie et Kuroo avaient passé les trois derniers jours à coordonner une équipe chargée de transporter des lits, des draps et des couvertures du bâtiment voisin. Pour le reste, il semblait que les nouveaux avaient apporté du ravitaillement. Mais de quoi tenir jusqu'à quand ?

Voilà pourquoi on avait discuté du moyen de prendre l'initiative des combats : attirer l'ennemi sur un terrain favorable, à découvert. Ushijima avait suggéré deux ou trois idées, dont aucune n'avait suscité l'enthousiasme. De toute façon, dorénavant, il ne faisait plus partie du processus. Alors qu'allait-il faire ? Retourner dans son palais et laisser l'histoire s'écrire sans lui ou tenter de contrarier les plans des autres en leur mettant des bâtons dans les roues ? Oui, mais quels bâtons ? Elle avait beau chercher, Yukie ne voyait pas.
Non. Il allait juste s'exclure lui-même des débats. S'il n'en était pas, alors il serait vu comme quantité négligeable quand tout sera fini. Car quand la bataille finale s'annonce, seul importe d'en être... ou pas.

ENEMY Tome 5 : La fin Where stories live. Discover now