cinq - Esmée

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Pendant un moment, il ne s'est rien produit d'autre qu'un long silence couvert par les chants de la foule autour de nous. Je ne savais pas quoi dire d'un tant soit peu intelligent, et quand bien même lors de notre dernière rencontre je m'étais contentée des habituelles idioties dont j'ai le secret, ce jour-là je n'avais pas l'excuse de l'alcool.

Nous avons donc marché un moment côte à côte, dans les pas du rang qui nous précédait, et puis finalement, la discussion a repris son cours, comme si elle n'avait jamais été interrompue.

Myriam m'a interrogée au sujet de mon roman actuel, et je l'ai écoutée me raconter quelques anecdotes croustillantes d'enseignante en sociologie.

- Tu es de quel coin, d'ailleurs ? ai-je finalement demandé à Myriam un peu abruptement.

Elle m'a souri et m'a détaillé son parcours. Avant d'enseigner ici, il s'avérait qu'elle avait été sept ans maître de conférence à SciencesPo Paris, sur le campus de Menton, après avoir fait toutes ses études à la Sorbonne.

- Quand je t'écoute, tu n'as pas l'air franchement ravie d'avoir atterri ici...

Myriam a eu un nouveau sourire, teinté d'amertume cette fois, comme je ne lui en avais pas encore vu.

- Mon mari habite Bordeaux depuis toujours, avec ma fille.

- Ah oui en effet, c'est pas la porte à côté...

- Quand j'ai passé le concours il y a quatre ans, c'était pour devenir professeur des universités, et par chance j'ai réussi, sauf que je suis arrivée quatrième pour cinq places. On m'a laissé le choix entre Amiens et Tours, j'ai pesé le pour et le contre, et même si Tours aurait été plus près de ma famille, j'ai choisi Amiens. Suite à cela, il y a eu pas mal de tensions avec mon mari, qui se sont un peu résorbées depuis, mais je crois que quelque chose s'est brisé à ce moment-là, quelque chose qui ne se réparera pas.

Myriam a regardé son alliance, avant de la saisir entre deux doigts pour la faire tourner. Elle a laissé retomber sa main le long de son corps et s'est tournée vers moi :

- Mais bon, j'imagine que c'est la vie ! a-t-elle ajouté d'un ton faussement enjoué.

Sa voix s'était faite plus aiguë sur la dernière partie de la phrase, et elle tenait visiblement à faire croire que ça ne la touchait pas tant que ça. Nous savions toutes les deux ce qu'il en était.

J'aurais eu des questions supplémentaires, mais je sentais bien que le sujet était difficile.

- Alors voilà, je suis arrivée ici avec un sacré spleen, et j'ai probablement fait un transfert sur la région à cause de mes soucis personnels de l'époque...

Je lui ai souri.

- Adjugé, la Picardie te pardonne, c'est une raison valable.

Elle a ri en réponse, détournant légèrement la tête.

- Et toi, tu n'as jamais voulu partir d'ici ? a-t-elle demandé d'un ton plus léger.

J'ai réfléchi à la question.

- Je ne crois pas, j'aime bien l'ambiance de la région... Je sais que je ne me plairais pas en région parisienne par exemple, j'y passe quelquefois mais je ne pourrais pas y vivre. Trop de monde, trop vite, ça ne me correspond pas. Quand je quitte la ville, l'urbain, j'apprécie de me retrouver tout de suite au milieu des champs de colza. Les villes ont l'air posées juste comme ça, dans la nature, et ça me plaît bien. Et puis, pour parler de façon plus terre-à-terre, j'ai l'habitude du climat, ai-je ri. La pluie, le vent ne me font pas peur, c'est le soleil et la chaleur qui me font fuir au contraire.

Drache poétique [gxg]Where stories live. Discover now