Chapitre IV

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Cette pièce est, immense, triste et faiblement éclairée.

Pensez-vous que la maintenance soit bien joyeuse ? Pensez donc !

Des tables kilométriques en vieux bois se présentaient devant ma personne et des couverts en métal sur les dessus.

Ceci est donc une salle à manger.

Nous progressions en file indienne pour nous siéger sur les bancs.
À côté de Maria, je la contemplais d'un air ahuri.
Je lui tapotais légèrement sa jambe, voulant attirer son attention.
Elle me prit la main comme une mère, désirante que son enfant se tienne tranquille. C'est ce que je fis aussitôt pour ne pas la déranger.

Quelques minutes s'écoulèrent, des minutes de torture ma foi.
Tout le monde se tenait droit, pas un bruit ne se faisait entendre : pas de murmures, ni de rires, nul que le silence.
Des jeunes gens s'insinuèrent dans la salle, tenant chacun une marmite, ils se divisèrent en petits groupes, et avançaient vers les tables.
On me servit là, une sorte de bouillie jaunâtre dont je n'arrivais guère à reconnaître les ingrédients : du ris peut-être qu'elle en contenait ?

Je la considérais un peu écœurée.

Les pensionnaires pourtant la dévoraient avec appétit.
Je remuais le porridge, cherchant la force de me nourrir, la cuillère tournait et tournait jusqu'au moment où j'aperçois une chose noirâtre. C'est du riz brûlé, il me semble. Je m'apprêtais à le débarrasser de mon plat mais cette chose se mit à bouger.

Ce n'est pas là ce que je pense être.

C'est un beau cafard noir.

C'en est de trop, je repoussais le bol de ma main, faisant une mine dégoutée et déçue.
Depuis hier, je n'avais rien avalé, j'étais affamée, ma panse me l'hurlait férocement.
Maria dut le remarquer, elle posa sa main sur mon avant-bras et s'approcha furtivement de mon oreille :
_ Tu devrais avaler quelque chose, tu n'auras rien de plus d'ici demain à quinze heures. Me dit-elle.

Pas de souper le matin ! Je ne peux pas demeurer affamée jusqu'au lendemain.

Je virai la bestiole de mon repas, voulant consommer la partie dont je crus qu'elle n'avait posé ses pattes.
Je rapprochais la cuillère de ma bouche en plissant les yeux.
Une première bouchée, puis deux, c'était dégoûtant, avec une saveur prononcée de gingembre.
Je m'arrêtais après la cinquième cuillérée.
C'était suffisant pour qu'une poignée d'élèves se mette à débarrasser les plats vides et, pour mon cas, encore dégoulinant de bouillie.
Les petits groupes s'organisèrent de nouveau en trois files et abandonnaient les lieux avec des mines nonchalantes.

Dans notre chambre, je m'installais sur ma couchette, repensant à cette journée de malheur. Ma jeune camarade vint à mes côtés, toujours avec cet expression de bienveillance.
_ Sofia, tu vas bien ? Me demanda t-elle.
_ Oui, je vais bien, je réfléchissais à certaines choses.
_ Ça aurait été plus malin de ma part de t'élucider sur certains aspects de l'école. Continua Maria.
_ Il est vrai que je suis un peu confuse présentement.
_ je vais t'expliquer... Ce que tu viens de connaître est la petite routine que nous suivons chaque soirée à l'heure du dîner. D'abord, un de nos responsables cogne à la porte, cela veut dire qu'il est l'heure du repas. Ensuite, un autre coup va se faire entendre, nous devons allumer les lumières à cet instant. Et puis au troisième coup, en file nous devons nous mettre et se rendre à la salle à manger.
Nous avons juste dix minutes pour dîner, et avant d'omettre le point le plus influent : il est strictement interdit de discuter pendant le repas.
_ Je te remercie de t'être mise en péril pour m'inciter à dîner. Lui dis-je.
_ Ce n'est rien, les corvées sont tenaces, tu auras besoin de force. Dit-elle en me montrant son biceps.
_ Sûrement, mais dis-moi, ont-ils vraiment le droit de nous battre à leur guise et puis les parents le savent-ils ? Lui demandais-je, concernée.
_ Des rumeurs courent, le sais-tu ?
Sortis de l'école, des enfants auraient raconté leurs passages ici, mais penses-tu véritablement que des adultes réalistes les croient sans la moindre évidence ? Non, ils leur prennent pour des simples fous étant donné que les géniteurs estiment que nous sommes éduqués dignement sous la tutelle d'une brave dame.
Toutes ces croyances, ils les obtiennent de nous également : on a le droit qu'à un seul coup de téléphone chaque mois et ce court temps est contrôlé de très près; la surveillance nous oblige à dire que nous sommes bien traités et que nous apprécions tant d'être ici. Des affreux sournois, ils le sont bien.
Ces mielleux veulent nous rayer du monde, envoyer des lettres ou en recevoir est formellement interdit.
Les orphelins, eux sont les plus malheureux, ils n'ont guère quelqu'un pour se préoccuper d'eux.
_ Que me dis-tu ? Et la police, ne fait-elle rien ? Dis-je outrée de ce que je venais d'entendre.
_ La police, laisse moi rire. Toute la ville est de paire avec l'école. Elle n'est jamais contrôlée ni inspectée. J'ai même entendu dire que la presse locale rédigeait des avis favorables sur l'internat. Continua t-elle en ricanant.
_ Mais Maria, quelques familles ont sûrement dû croire les dires des anciens élèves. Ils ont sûrement fait un boucan à l'administration.
_ Sofia, que ne comprends-tu donc pas ? Nous sommes pris dans un traquenard.
Tu ne peux pas t'échapper, jamais.
Tu verras, les rossées ne sont rien comparées à ce que tu seras le témoin.
Sofia, sois très prudente et obéis à tout ce dont ils te demanderont.

Templum InfortuniiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant