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Une atmosphère lugubre régnait. Aucune lumière ne traversait l’épais brouillard, la forêt semblait noyée dans une profonde torpeur, tout était figé. Autour d’eux l’air était lourd, les arbres suintaient d’une rosée oppressante.
« Eh bien, c’est un drôle d’endroit pour traîner ! »
La voix enjouée perça le silence comme si les plantes mêmes étaient dérangées par sa légèreté.
« Je suis d’accord, acquiesça la voyageuse, je ne vois pas pourquoi mon frère irait ici. Cependant, j’espère tout de même que nous le trouverons…
- Ne vous en faites pas, je suis sûr que nous apprendrons au moins quelque chose.
- Comment faites-vous pour rester si optimiste, Tartaglia ?
- Excellente question, je ne me la suis jamais posée. »
Elle lui jeta un regard surpris auquel il répondit par un clin d’œil. Ils poursuivirent leur chemin dans ce décor glacé, à l’affût du moindre signe de vie. La forêt était plus calme qu’un tombeau. Tout se confondait dans des nuances de vert opaque, chacun de leurs souffles créait une buée dense, il leur semblait qu’une force obscure faisait peser une chape de plomb sur les alentours. À mesure qu’ils progressaient Lumine se sentait de moins en moins à son aise. Nerveuse, elle ne savait plus si elle guettait des indices ou des menaces. Cela faisait déjà un moment qu’ils cherchaient dans ce décor d’outre-tombe et si Tartaglia n’avait pas été là, elle aurait été tentée de renoncer.
Du coin de l’œil elle remarqua une lueur. Alertée, elle s’arrêta et il fit de même.
« Qu’y a-t-il ?
- J’ai cru voir quelque chose là-bas.
- Ah, oui, c’est un feu follet. C’est le deuxième que j’aperçois, dommage qu’il ait disparu. Mais d’après ce qu’on m’a dit il va y en avoir beaucoup d’autres un peu plus loin. »
Elle frissonna, affermit sa résolution et se remit en marche. Ses dires se confirmèrent quand, quelques instants après, ils arrivèrent à une petite clairière. Sur le sol inondé flottait un pont de bois clair menant à une mystérieuse stèle. Et en l’air, aussi innombrables qu’inquiétants, une nuée de feux follets répandaient leur halo bleuâtre. Ils s’arrêtèrent pour contempler le phénomène, elle d’un œil méfiant et lui d’un regard où scintillait l’intérêt.
« Ils ne vont rien nous faire, traversons !
- Vous êtes sûr ?
- Oui, ce ne sont que des lumières. Ou des esprits vengeurs, selon ce que vous préférez. »
Son air ennuyé parut l’amuser et il se remit en chemin. Elle le suivit avec prudence jusqu’à la stèle puis ils grimpèrent la paroi rocheuse de l’autre côté. Une fois en haut une mauvaise surprise les attendait.
« Attention ! »
Un carreau enflammé partit dans leur direction. D’un geste, il les protégea avec un mur d’eau. Quand l’onde disparut ils purent dénombrer leurs ennemis. Une demi-douzaine de monstres s’apprêtait à charger, heureusement sans mage à leur tête. Lumine dégaina son épée mais l’Exécuteur fut plus rapide. Il invoqua à nouveau son Œil et un torrent entoura leurs adversaires avant de les emporter au bas de la paroi. Elle lui jeta un regard surpris et il expliqua :
« Je n’avais pas envie de me battre, et c’était plus rapide comme ça. Maintenant allons-y avant qu’ils ne reviennent. »
Ils laissèrent donc derrière eux la clairière et les monstres hébétés et après de longues minutes ils purent distinguer une clarté nouvelle. Ils pressèrent le pas et se retrouvèrent hors de la forêt. L’ambiance changea radicalement. Le soleil brillait dans un ciel pur, il faisait bon, un paysage de rizières paisibles s’étendait à perte de vue en contrebas, et dans l’herbe orangée s’épanouissaient des fleurs au parfum sucré.
La voyageuse prit une inspiration et sourit, libérée tout à coup de son inquiétude.
« Comme c’est beau !
- On en avait presque oublié le monde normal, n’est-ce pas ? Asseyons-nous un moment, nous avons mérité un peu de repos. »
Ils s’installèrent près de la falaise et profitèrent un moment de la vue qui leur paraissait d’autant plus belle après les lieux sombres qu’ils venaient de traverser. Les rayons dorés les réchauffaient agréablement, une douce brise allait et venait et quelque part dans un arbre un oiseau chantait. Tout était paisible, des plans d’eau claire à la tranquille course des nuages chaque élément était en harmonie avec l’ensemble.
« Lumine ?
- Oui ?
- Que dirais-tu d’abandonner le vouvoiement ? »
Un peu étonnée, elle le considéra avant d’accepter :
« D’accord, si tu veux. »
Il sourit, et tous deux laissèrent le silence revenir. La jeune fille se sentait bien, même s’ils n’avaient pas trouvé d’indices elle était sûre désormais qu’ils parviendraient à quelque chose. En cet instant, tout semblait lui insuffler de l’espoir, et elle savait que le soutien de son compagnon y contribuait grandement.
« Tartaglia…
- Qu’y a-t-il ?
- Je voulais te dire… merci pour ton aide. J’ignore à quel point ton travail est prenant mais tu l’as mis de côté pour m’accompagner et cela me touche. Grâce à toi, j’ai repris courage ; je t’en suis reconnaissante. »
Pour la première fois, il parut ne pas savoir que dire, comme si sa sincérité l’avait pris au dépourvu. Il chercha ses mots et finit par répondre :
« Je suis heureux de pouvoir t’aider. Et je te promets de continuer jusqu’à ce que tu retrouves ton frère. »

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