le ravisseur

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Cette soirée de Juillet ne parvient même pas à éponger ma peine. Pourtant, tous les éléments d'une vie comblée sont réunis dans ce jardin auréolé de lampions. Mes camarades de promo et moi-même fêtons le diplôme fraichement acquis, le rire de ma petite amie brille par-dessus sa coupe de champagne, et l'été nous gratifie d'une chaleur bienvenue. Un coup d'œil à mon téléphone. Quelques réponses à ma story postée, des mentions sur les réseaux des autres, une paire de likes sur mon twitter, et même un vocal de ma mère sur whatsapp. Mais rien de plus. Logique. Je ne sais pas ce que j'attendais au juste. Las, je lève le nez en l'air. La lune bien ronde semble me narguer, m'enroulant dans son faisceau blanc nacré ; je suis tel un personnage de théâtre sur lequel les projecteurs sont braqués. Sauf que je ne suis pas intéressant. Ma vie est réussie. Du moins, elle le semble. Voilà précisément pourquoi je ne suis pas heureux. D'ici une trentaine de minutes, je vais devoir tenir ma promesse, celle de demander Angela en mariage.

J'ai l'impression que c'était hier ce moment où nous évoquions cet avenir en commun et où, pressé par l'inconsistance de mes sentiments, je repoussais l'idée d'un mariage au moment où nous serions diplômés tous les deux. Nous y voilà.

J'ai tenu à m'éloigner pour cuver mon amertume, alors je traverse lentement le jardin, longeant les haies de lauriers. Bientôt, je m'éloigne des lumières et l'obscurité m'engloutit. Angela pavane au milieu de ses amies, trainant derrière elle une longue robe blanche tout en voiles. Ses épaules nues brillent, saupoudrées de quelques paillettes. C'est une femme magnifique, intelligente, agréable. J'ai conscience de ma chance, et je ne trouverai pas mieux. Alors pourquoi l'idée de m'agenouiller me file-t-elle la nausée ?

Angela ne m'a rien demandé. Mais elle se souvient de mes paroles. Tout le monde a retenu ce compte à rebours – après tout, nous sommes le seul couple de notre promotion à avoir survécu aux études – et les suggestions ont commencé cette année. Les coups de coude, les haussements de sourcils à chaque fois que le sujet d'un mariage quelconque était abordé, même les idées pour les enterrements de vie de garçon. Quant à ses amies, le sujet portait plutôt sur les robes, les demoiselles d'honneur et bien sûr, le voyage de noce.

Au fur et à mesure que mes pas m'amènent à faire le tour du jardin, je reviens au point de départ. Dans ma poche, au creux de mes doigts, une petite boite carrée creuse ma peau à force de la serrer. Je ne veux pas me marier, mais j'imagine que ce n'est qu'une question administrative. Et puis, ce n'est pas si terrible. La vie avec Angela est agréable. Je pense très sincèrement qu'elle mérite mieux que moi, or elle ne semble pas s'en rendre compte. Histoire de dissimuler le type insipide que je suis, j'ai au moins eu l'audace de lui acheter la bague de ses rêves. Son sourire occupera mon cœur un moment, le temps que dure le plaisir d'offrir.

Calé contre un poteau maintenant le chapiteau sous lequel quelques invités dansent, je déglutis. Pourquoi attendre minuit après tout ? Une demi-heure de plus ou de moins n'y changera rien. J'inspire un bon coup, serre une dernière fois la boîte carrée et commence à m'avancer.

Toute source de lumière se tarit alors. Paralysé par la nuit, les murmures et surprises s'élèvent, le temps que les pupilles se dilatent.

— Le compteur a sauté ?

— C'est que la maison ou c'est tout le quartier ?

La faible lueur des étoiles m'aident à apercevoir des ombres se mouvoir en direction de la maison. Je m'avance, plus par automatisme que par envie d'aider. J'aime étrangement bien cette absence de couleurs qui traduit si bien mon existence morne depuis quelques années. Seule Angela détonne, ses voiles blancs creusant les ténèbres de Juillet.

— Joachin ?

Je me retourne vers elle. Les feuilles de laurier bruissent contre ma veste. Elle ne me voit pas. Habillé de noir que je suis – je songe à cet instant à quel point un monde nous sépare – quand une main se plaque contre ma bouche. Mon cœur manque d'être expulsé au moment où une lame froide caresse ma jugulaire. Lentement, je recule, plaqué contre mon agresseur, et mes pas suivent les siens, à reculons, à mesure que nous nous éloignons du jardin.

Esquisses de vie Où les histoires vivent. Découvrez maintenant