Le CEF (début des années 90)

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— LAISSEZ MOI SORTIR. OUVREZ. PUTAIN OUVREZ.

— Sal...

— TA GUEULE. C'EST PAS LE MOMENT. JE VEUX SORTIR. IL FAUT QUE JE SORTE.

— C'est pas en gueulant que tu sortiras plus vite, marmonna Mickaël.

Son voisin de chambre le fusilla du regard, les pupilles noires traversées d'une colère bouillonnante.

— OUVREZ. JE VOUS JURE, VOUS ALLEZ LE REGRETTER, BANDE DE BATARDS. OUVREZ BORDEL.

— Arrête de gueuler, je te dis.

L'adolescent se décolla de la porte et agrippa Mickaël par le col. Surpris, mais peu intimidé, ce dernier soutint son regard.

— Tu veux que je t'en colle une ou quoi ? Fais gaffe, Mickabelle. Je suis à ça de péter un plomb.

— Tu crois me faire peur ? On est ici à cause de toi alors maintenant tu fermes ta gueule et t'assumes !

Il lui envoya une bourrade dans le but de se dégager. L'affaire fut plus simple qu'il ne le pensa si bien que son collègue d'isolement s'éloigna, les mains sur la tête, en train de cogiter. Salvator finit par se précipiter de nouveau sur la porte, tambourinant son poing couvert de sang séché dessus.

— OUVREZ BORDEL. PUTAIN JE VAIS VOUS BUTER UN PAR UN. JE VOUS JURE...

— MAIS TA GUEULE PUTAIN.

— TOI TA GUEULE ! JE T'AI PAS CAUSE !

Mickaël le rejoignit, empoigna ses vêtements pour mieux le tirer et l'envoyer valdinguer dans un coin de la pièce. Il l'observa tituber, fait étrange. Salvator ne titubait jamais. C'était un élément perturbateur, un mec frontal, songea Mickaël. Pas le genre à se laisser trainer ou dicter.

— Je vais te buter.

Mickaël n'en crut pas un mot. Oh, il en aurait été capable. Mais pas maintenant.

— Salv... commença-t-il.

— Ferme ta grande gueule, si tu veux pas que je t'arrache toutes tes dents !

Il voulut passer outre Mickaël qui lui barra le passage. Une seule main lui suffit. Ce qui n'était décidément pas normal.

— Bouge de là.

— Qu'est-ce que t'as ?

— JE VEUX SORTIR D'ICI. T'ES TRISO OU QUOI ?

Il tapa à la porte pendant plus d'une minute, vociférant, la bouche collée à l'interstice. Mickaël finit par s'asseoir, dos au mur, les bras calés sur ses genoux repliés. Le temps risquait d'être long, et son abruti d'éducateur référent n'avait même pas songé à ajouter un matelas de plus. Se trouver ensemble en chambre d'isolement dépassait le règlement intérieur.

Une chambre d'iso c'est censer isoler quelqu'un. Pas s'isoler à deux...

Mickaël observa son camarade lâcher la porte et rejoindre l'unique fenêtre qui donnait sur la cour. Du bout des doigts, il traça le contour des plaques de fer qui avait été vissées au bois. Aucune ouverture évidemment. Le bruit de son poing rebondissant dans la vitre fit grimacer Mickaël. Il évalua la montée de la douleur à deux secondes.

— PUTAIN DE BORDEL DE MEEEEEEERDE ! hurla le garçon.

Bingo, songea Mickaël.

— Arrête d'insulter alors que tu te fais mal tout seul, espèce de débile.

— C'EST TA TETE QUE JE VAIS ENCASTRER DANS LE MUR.

— Essaye !

De son autre poing, Salvator claqua un nouveau coup contre la fenêtre. Plus petit. Plus léger. Inutile évidemment. Mais cet impact-là sonnait comme une résilience. Un appel à l'aide plus qu'une colère qui se déchainait. Il recommença à longer les murs, évitant soigneusement celui contre lequel Mickaël reposait.

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