07. LANA

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♫ sam tinnesz & yacht money – play with fire

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Je le vois.

Cela ne dure qu'une demi-seconde, mais c'est largement suffisant pour apercevoir par l'ouverture de la porte, ses mouvements de bras. La vitesse de ses jambes. La rapidité, la technicité et la maîtrise incroyable de son équilibre dans ses pirouettes. Une part de moi attend impatiemment qu'il se plante. Qu'il rate un pas. Qu'il tombe. Perde l'équilibre, trébuche. Mais non. Rien. Ce mec reste imperturbable, et s'élance sans jamais flancher. Je n'en reviens tout simplement pas. Je continue alors de l'observer, intriguée. Car il faut dire que le spectacle face à moi a de quoi attiser ma curiosité. Tout est impeccable. Tout est gracieux, harmonieux. Digne d'une grande pratique de la danse.

Pourtant, quelque chose cloche. Il y a dans ses mouvements, dans sa gestuelle, dans l'aura qu'il dégage un petit détail qui me perturbe. Je le sens au fond de moi, mais je n'arrive pas à savoir précisément de quoi il s'agit, à mettre des mots sur cette sensation troublante. Tout est comme flou dans mon esprit. Et je n'aime pas l'idée d'être troublée ainsi. Car plus il danse, et plus je reste perplexe. Et plus il se déplace dans la salle, plus il s'approprie l'espace, plus je me dis que cette silhouette masculine ne me fait penser à aucun des mecs de l'école. Mais vraiment aucun. J'ai beau me creuser la tête, lister puis éliminer un à un les danseurs que je connais, ce garçon reste inconnu.

Grand, brun, élancé, il ressemble vaguement à Corentin, mais sans plus. Et puis, Corentin ne danse pas comme ça, je le sais. Je l'ai déjà vu à l'œuvre, et je ne me rappelle pas avoir été marquée de la sorte, presque séduite par une telle attitude de sa part. En plus, ce mec que je ne vois que de dos semble avoir mon âge. Il doit donc forcément être dans le cours des avancés garçons, comme Ben. Surtout s'il répète dans cette salle, la 227, qui est réservée pour nos deux groupes. Or, si ce n'est pas Corentin – et je suis persuadée que ce n'est pas lui, à moins d'avoir autant progressé en si peu de temps, ce qui me paraît surprenant – ce mec présent à quelques mètres de moi ne me dit décidément rien physiquement.

Mais du coup, si ce gars n'est pas de l'école, qui est-il ? Et que fait-il ici ? Comment est-il entré dans cette salle, s'il n'est pas en avancés ? Mais surtout, d'où lui vient toute cette technique, tout ce talent, cette maîtrise, si ce n'est pas des cours de l'un de nos professeurs ?

Toutes les questions dans ma tête restent en suspens. Du moins pour le moment. Car ce serait mal me connaître que de penser que moi, Lana Mattezi, je vais abandonner si facilement. Je n'ai pas décidé de m'arrêter en si bon chemin. Au contraire. Je compte bien creuser pour apporter des réponses à chacune de ces putains d'interrogations. Je ne peux pas juste en rester là après ce que je viens de voir. Comme je le fais à chaque fois pour n'importe quelle personne de cette école, je vais enquêter sans relâche, jusqu'à obtenir tout ce que je veux. C'est ce qui fonctionne systématiquement, alors autant tenter avec ce garçon aussi. Car si en un regard, il a réussi à m'impressionner, autrement dit, s'il a réussi là où tout le monde échoue d'habitude, tout ceci devient intéressant. Très intéressant même.

Ma curiosité me pousse un peu plus encore. Je m'avance, referme délicatement la porte de la salle derrière moi, puis je franchis les deniers mètres qui nous séparent. La musique qui se diffuse dans la pièce n'est pas très forte – la preuve, je ne l'avais pas entendue lorsque j'étais dans le couloir – mais elle suffit à camoufler mes bruits de pas. Sans l'interrompre, je m'approche encore davantage de lui, toujours tout doucement. Mon intention n'est pas de lui faire peur, bien au contraire. Je tiens simplement à voir de plus près qui est cette personne, qui de dos déjà, me fascine. Ce garçon qui suscite en moi un étonnement, une curiosité que jamais personne ne suscite. Et qui me pousse à faire des choses dont je n'en éprouve jamais l'envie pour personne d'autre. Il m'interpelle, et je ne peux pas rester passive. Je dois réagir. C'est comme si sa silhouette qui se meut dans cette salle me cherche, me défie, me provoque.

Dancing Our Fears [EN PAUSE]Where stories live. Discover now