— Hello ! lance Olivia en me voyant poser mon plateau devant elle.

Juline me fait un petit signe de la main droite, les yeux plissés par les rayons faibles du soleil qui pointent dans le ciel aujourd'hui. Je m'assois à côté de cette dernière, et face à Olivia. Nous avons pris cette habitude, au fil des jours, de déjeuner à cette table, afin de profiter du beau temps et du calme loin de la cafétaria bruyante.

— Désolée les meufs, j'ai cru que je n'arriverais jamais à venir. Déjà, le prof il nous garde jusqu'à la sonnerie, et puis les gens devant moi pfff, c'est fou tout ce monde qui n'avance pas, putain !

— Nan mais c'est clair, renchérit Juline. A croire qu'on a leur temps... Mais bref, après t'inquiètes, nous on venait d'arriver aussi, mais bon quand même.

— Bon les meufs, moi je vous cache pas que mes deux heures de psycho m'ont donné faim donc allez, bon appétit à vous, reprend Olivia.

Je glousse et nous commençons à manger toutes les trois. La salade verte qui me sert d'entrée est vraiment fade, mais bon au prix où coûte le repas à l'université, personne ne s'attend à bien mieux. Je mastique les feuilles de verdure, amusée par l'histoire de Juline sur une fille de sa promo, puis passe au plat, composé d'un morceau de poisson trônant sur des brocolis et des petites pommes de terre. Le déjeuner se poursuit dans la bonne humeur, ponctué de rires et d'anecdotes croustillantes avec mes deux acolytes. En réalité, je ne saurais pas dire si je considère Olivia et Juline comme de véritables amies, et réciproquement. Mais disons que j'apprécie être en leur compagnie, j'apprécie les personnes qu'elles sont et ce qu'elles dégagent. Ces deux filles dont super sympas, bon vivant. Elles sont drôles, mais surtout, elles ont un fort caractère et ne se laissent pas faire. Avec elles, je me sens bien, je me sens intégrée. J'ai l'impression de mener la vie d'une étudiante normale, qui déjeune à la fac avec ses amies, et putain ça fait du bien de temps de retirer le masque et de profiter de la vie, tout simplement. C'est assez bizarre, mais avec elles, j'ai l'impression d'exister par moi-même, sans avoir besoin de ma cour, comme à l'école de danse. J'aurais pu me trouver des véritables larbins à mon entrée à la fac, des filles qui auraient fait mes quatre volontés, mais paradoxalement, je ne l'ai pas fait. Je n'ai même pas cherché à le faire, je ne l'ai même pas voulu. Pour une fois, j'ai juste cherché à vivre une vie normale, d'une fille de vingt ans, sans avoir cette pression constante que j'ai au quotidien avec cette réputation, de faire sans cesse mieux pour être la meilleure.

Au final, je me rends compte qu'à part les cours de la fac qu'on a en commun et les soirées, elles ne connaissent rien de ma vie. Ni Juline, ni Olivia. Et moi non plus, d'ailleurs, je ne connais pas grande chose d'elles mis à part ce que l'on se raconte en cours. Olivia a quatre frères, elle est en crush sur deux filles de sa classe qui lui plaisent en même temps donc elle arrive pas à se décider, elle est passionnée par la peinture et la sculpture, et elle est en licence de psychologie. Juline fait du rock avec des mecs de son lycée d'avant, elle a une demi-sœur qu'elle adore, elle est engagée dans plein de combats admirables et elle est en double licence de lettres et communication. Et c'est à peu près tout ce que je sais de leur vie personnelle. De leur côté, elles savent de moi que je suis fille unique, que je fais de la danse depuis petite et que c'est ma raison de vivre, et que je rêve de partir étudier à l'étranger. Et c'est tout. Mais ça me va, et ça leur va aussi, je crois. On cache toutes des choses, on joue toutes des rôles le reste du temps, alors ça permet de s'en détacher au moins lorsque l'on est que toutes les trois. Et puis, ça permet, enfin à moi surtout, de ne pas trop s'attacher. C'est un des sentiments que je déteste le plus au monde, en plus de la faiblesse. Savoir qu'on est trop dépendant de quelqu'un, qu'on est prêt à tout pour cette personne. Ça me fait peur aussi de trop m'attacher. Au moins là, le moment venu, on n'aura pas de comptes à se rendre.

Dancing Our Fears [EN PAUSE]Where stories live. Discover now