Chapitre 1 : Le Renard 2/2

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La caverne scintillait de toutes parts sous la lumière dorée de ma torche, comme si on avait enchâssé de minuscules cristaux dans ses parois cabossées. Un lac souterrain se déployait au centre de l'excavation, bordé de grandes stalagmites tapissées de mousse rouge sang. Certains de ces cônes en pierre ressemblaient à des créatures bestiales sinistres et difformes.

Je savais que plus d'un Éphémère aurait été angoissé à l'idée de se retrouver seul dans ces boyaux tortueux, à des lieues de Deadfall. Ce n'était pas mon cas. Je savourais la pénombre, le calme et la solitude, ainsi que le frisson de l'interdit qui picotait mon échine d'une vive sensation.

Le mystère et l'inconnu m'attiraient comme des aimants. Depuis des années, j'aimais parcourir ces grottes reliées par des galeries labyrinthiques, que j'avais explorées des centaines de fois en quête de nouveautés. Ma curiosité ne comportait aucune limite. Certes, j'avais fait trois ou quatre rencontres indésirables, mais j'étais capable de me défendre. Je m'entraînais depuis des années. Ni les goules ni les rats géants n'avaient survécu à mes flèches et à mes couteaux. Je ne croyais pas aux légendes urbaines qui prétendaient que des monstres bien plus dangereux rôdaient dans les Sous-Sols Unis en périphérie des villes. Les Paladins ou les bardes aimaient effrayer les enfants et les ingénus, ce que je jugeais ridicule. Ce n'était là qu'un prétexte pour que les habitants restent dans le droit chemin, ne s'aventurent pas au-delà des remparts de nos cités souterraines. Les Éphémères se complaisaient dans leur illusion de sécurité, pourtant menacée par les peuples de la surface avec lesquels nous entretenions des relations de plus en plus précaires.

Malgré les remontrances de notre père, mon sanguin de frère mettait de l'huile sur le feu avec son comportement provocant. Il ne masquait pas sa haine des Polytres et des Faedras, et ne perdait pas non plus une opportunité de les défier. Quelquefois, je songeais que c'était un miracle qu'il n'ait pas encore été éviscéré par l'une des créatures puissantes, voire surpuissantes, qui pullulaient librement au-dessus de nos têtes. Il ne se rendait pas compte de sa bonne fortune. J'espérais qu'elle ne tournerait jamais ou que notre géniteur parviendrait à le raisonner et à le tempérer. J'aimais mon frère aîné, mais il m'agaçait à se conduire de la sorte, sans mesurer les conséquences de ses actes irréfléchis.

Je posai ma torche près du lac, en balayant les alentours du regard, avant de déboucler les sangles de mon baudrier qui retenaient mon arc, mon carquois et mes lames. Mon havresac chut à mes pieds. Après avoir ôté mon couvre-chef, je dénouai mes cheveux foncés aux reflets prune, avant de retirer mes bottes usées par la marche et mon manteau en cuir épais, élimé par endroits. Je délaçai ensuite mon chemisier, ainsi que mon pantalon. Je déroulai la bande qui me compressait la poitrine, que je découvris striée de marques rouges disgracieuses, comme à chaque retrait. Je massai un instant mes seins lourds, trop longtemps aplatis. Je me retrouvai simplement affublée d'un sous-vêtement en coton qui recouvrait mon bassin et le haut de mes cuisses. Ma crinière emmêlée cascadait dans mon dos nu comme un rideau violet sombre jusqu'à ma taille de guêpe.

Voilà précisément pourquoi j'avais souri avec ironie lorsque la vieille veuve avait crié « Au voleur ! » dans mon dos au cours de ma fuite sur les toits. Il aurait été plus avisé d'accorder ce mot au féminin. En l'occurrence, les bijoux de famille dudit voleur n'étaient pas situés entre ses jambes, puisqu'ils s'entrechoquaient alors dans son sac au rythme de ses pas précipités !

Un spectateur aurait été surpris de découvrir des formes opulentes sous mes haillons, car je revêtais l'allure d'un garçon lorsque je m'éloignais de cet endroit oppressant que ma famille qualifiait de « maison ». Les traits abrités sous mon chapeau et camouflés par les traces de suie dont je me tartinais avant de sortir, je me fondais dans la masse grâce à mon petit gabarit et à mes guenilles masculines. Les passants ne prêtaient aucune attention à un jeune vagabond à la tête basse qui se faufilait entre eux d'un pas pressé et agile. Le son de ma voix aurait pu me trahir : aussi évitais-je de parler en public lors de mes excursions. En somme, j'endossais le rôle d'un pauvre garçon muet quand je n'étais pas Renard, l'auguste cambrioleur... ou lorsque je n'étais pas cette fille presque invisible dont je croisais le regard vide et morne chaque matin dans le miroir.

Divine Darkness, Tome 1 : Une offrande de chair et de sang (sous contrat)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant