— On essaie de tenir son arabesque, voilà, c'est bien mesdemoiselles. Vous notez la différence, Hélène ? Plus haute votre arabesque, Mona. Voilà, beaucoup mieux. Et on garde le menton relevé, on ne regarde pas par terre, je vous prie. Soufflez deux secondes, puis on reprend.

La main gauche positionnée sur la lourde barre en bois de chêne, je m'applique donc à reproduire chacun des mouvements de l'exercice. Demi-plié, un. Tendu, deux. On inspire Et rond de jambe, trois et quatre. Développé, cinq et six. On expire et on redescend le bras, et sept, huit. Avec la quinzaine de danseuses réparties sur la longueur de la barre, nous formons un ensemble synchronisé et harmonieux à regarder. Une colonne de chignons tirés à la perfection effectuant cet enchaînement unanime de ports de bras et de pliés. C'est dans ce genre de moment, entourée de toutes ces filles toutes plus douées les unes que les autres, qu'il faut savoir saisir la lumière de l'instant présent. Car je sais que le regard vif et aiguisé de madame Zarrata scrute avec attention chacun de nos pas, à la recherche d'une quelconque faiblesse. Et puis, il faut dire que le grand miroir étendu sur les murs aux côtés des barres ne fait que lui faciliter la tâche, puisqu'il reflète, ou plutôt accentue la moindre de nos petites erreurs qu'elle s'empressera alors de corriger.

— Mona, je ne vous sens pas avec nous, aujourd'hui. S'il y a un problème, vous viendrez m'en parler à la fin du cours, mais en attendant, essayez de rester tout de même concentrée. Les autres, c'est mieux, je vois déjà une nette amélioration dans la précision de vos mouvements. C'est plus appliqué, c'est bien.

S'il existait un mot pour décrire l'atmosphère de l'école où elle dispense ses précieux conseils, je dirais que c'est la volonté de bien faire. Toujours se surpasser. Continuellement. J'ignore si c'est le cas pour chacune de mes camarades, mais pour ma part, je me sens comme infiniment redevable envers elle. Et ce bien sûr, malgré les nombreuses heures de répétitions tardives qu'elle nous a infligé ainsi que les efforts douloureux et les blessures que ce rythme acharné implique. Car finalement, c'est grâce à elle que nous avons pour la plupart atteint ce niveau de danse, à la limite de l'exemplarité. Au fil des années, elle m'a accompagnée, tout comme mes autres camarades du groupe, vers nos rêves. Elle nous a fait gravir des montagnes, elle nous a fait devenir la meilleure version de nous-mêmes. Elle nous a appris la patience, le courage, la rage de vaincre. Elle nous a appris à toujours nous dépasser, à ne jamais renoncer, à toujours rester dignes. Elle a fait de nos faiblesses des forces. Et de notre talent une mine d'or à exploiter.

Au final, je ne dirais pas que c'est elle qui a forgé mon caractère. Elle y a contribué, je ne peux pas le nier, mais disons que je me suis surtout construit toute seule. Je n'ai jamais eu besoin de l'aide de personne pour affirmer qui je suis. Et au contraire, la bienveillance et l' exigence de madame Zarrata n'ont fait que contrebalancer avec la pression de devenir la meilleure que je m'imposais. C'est donc davantage mes expériences dans la danse qui m'ont fait devenir celle que je suis aujourd'hui, madame Zarrata n'a fait que m'aider à développer mon mental, ma technique, mon corps.

Ainsi, il est indéniable qu'au-delà d'un simple respect envers un professeur, cette femme possède également toute ma reconnaissance, et ce pour des raisons qui sembleront évidentes à quiconque la côtoyant un minimum. Déjà, parce que sa justesse et son talent la rendent plus que redoutable dans ce milieu. Ensuite, parce que ce milieu justement, elle l'a fréquenté pendant tellement de temps qu'elle en est devenue une sorte de légende. C'est donc tout naturellement que j'ai énormément de respect et d'inspiration à la fois pour son parcours sans le moindre accroc, mais aussi pour l'exigence dont elle fait preuve à l'égard des autres tout comme d'elle-même. Cette femme est une putain de machine. Et rien que sa longue carrière de danseuse au sein d'un prestigieux corps de ballet russe ainsi que les innombrables premiers rôles et récompenses qu'on lui a attribuées, suffisent à susciter en moi une confiance aveugle et une dévotion complète envers celle qui maintenant me connait mieux que quiconque. Celle qui m'a vu grandir, qui m'a fait évoluer, gagner en maturité, en confiance, en technique, en prestance. Je lui voue une véritable vénération, c'est presque de l'ordre de l'attachement religieux ce que je ressens pour elle. Car madame Zarrata n'a jamais arrêté, n'a jamais lâché les bras avant de n'avoir atteint ce qu'elle désirait. Et ça franchement, c'est putain d'admirable.

Dancing Our Fears [EN PAUSE]Onde histórias criam vida. Descubra agora