Tu as pris ton temps

Chapitre 03 - Aimée

— Je suis K.O ! gémit Aimée, en retirant son long manteau blanc. Aujourd'hui, on a fait un méga brainstorming à propos de la séance de team building dont je t'ai parlé.

Lila s'installa sur la banquette en cuir, face à sa meilleure amie qui consultait déjà la carte, tout en racontant sa journée. Elles s'étaient donné rendez-vous dans leur repaire favori, le bar Le Caractère. Les murs à la tapisserie extravagante de l'établissement auraient pu révéler certaines situations cocasses que les deux copines avaient vécues ici. Heureusement pour elles, ils n'étaient pas dotés de la parole !

— C'est prévu vendredi prochain, reprit Aimée. Je me suis arrangée avec les gars du digital branding, ils vont me mettre dans l'équipe de Lewis.

— La vraie question demeure tout de même sans réponse, intervint la blonde, un sourcil relevé. Depuis quand es-tu bilingue ?

— Depuis que Lewis, le beau Scottish, a débarqué dans la boîte ! rétorqua-t-elle, les paumes levées vers le ciel pour signifier l'évidence de sa réponse.

— Pauvre garçon, il ne sait pas encore que tu vas lui briser le cœur.

— N'importe quoi ! se défendit la belle Réunionnaise. Je ne lui veux que du bien. Je t'ai dit qu'il était champion d'aviron ? T'imagines, comme il doit être gaulé de dingue ?

— Tu m'en diras tant...

— Serait-ce de la jalousie que j'entends dans ta voix, ma Lilou ? Après tout, je te comprends. Dans ton bled, il n'y a probablement aucun Lewis !

— On se dirige encore sur ce terrain-là ?

Après une hésitation, Aimée fit non de la tête.

Leur rencontre datait du collège, lorsque les parents d'Aimée avaient été mutés en métropole. Elles pouvaient se vanter d'avoir vécu un véritable coup de foudre amical. Dès les premières secondes, Lila s'était présentée à cette nouvelle arrivante, armée de son sourire sincère et de ses boutons qui jouaient des coudes avec ses taches de rousseur. Elle l'avait questionnée sur son île chérie, lui avait demandé si elle faisait du surf et si elle avait déjà nagé avec des dauphins. Malgré cette approche naïve, l'adolescente à la peau brune et à l'impressionnante tresse noire, s'était sentie instantanément en confiance et avait accueilli cette potentielle nouvelle amie avec reconnaissance.

Depuis, elles avaient affronté ensemble toutes les étapes qui mènent jusqu'à l'âge adulte. Seul le changement de vie de Lila avait été source de friction. Aimée ne comprenait pas ce que son amie pouvait bien trouver d'intéressant à se reclure, tel un ermite, au fin fond d'un petit village de montagne. Elle ne parvenait pas à aller au-delà de cette vision raccourcie de la situation. Lila lui avait pourtant expliqué plusieurs fois que l'exercice de son métier à l'hôpital ne lui convenait plus, qu'en ville, elle se sentait étouffer et qu'il devenait nécessaire de se retrouver elle-même.

— Prends des vacances plutôt, non ? Si tu veux, on part toutes les deux aux États-Unis ou en Thaïlande changer d'air ? C'est une passade, Lilou ! J'ai pas envie de te ramasser à la petite cuillère, après un hiver entier dans ton trou paumé !

— Je ne te demande pas de me comprendre, Aimée, seulement de respecter ma décision.

Après plusieurs discussions de ce genre, les deux meilleures amies étaient arrivées à la conclusion que le mieux restait tout simplement de ne plus aborder le sujet. Le serveur les interrompit au bon moment et elles commandèrent deux verres de vin blanc, ainsi qu'une planche de fromage.

— Bon, et sinon, ça va la vie ? reprit Aimée, arborant un large sourire en signe d'apaisement.

— Tranquillement. Hier, je suis passée voir Madame Guichard. Tu sais, celle dont le mari est décédé cet été ? Elle a plein de fringues et de sacs qu'elle veut donner.