L'ascension

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Des flocons tombaient épaississant les couches de neige. Leurs pieds s'enfonçaient à chaque pas. Dès les premiers mètres grimpés, des paysages magnifiques se dressaient au loin. Ils marchèrent facilement pendant trois heures avant de faire une première pause. Ils en profitèrent pour manger leur sandwich acheté à la supérette d'en bas. Une goutte d'eau, il fallait éviter de boire toute la bouteille d'un seul coup, et ils repartirent. Ils arrivèrent à leur premier refuge en fin de journée, vers 17 h 00, la nuit était en train de tombée et il ne valait mieux pas rester dehors par ce temps. Une dame les accueillit chaleureusement, leur présenta leur lit dans le dortoir où ils posèrent leurs affaires. Carolle et Christophe sortirent chacun un livre et lurent jusqu'à ce que fut l'heure du dîner. D'autres randonneurs soupaient, lorsqu'ils s'installèrent à table. Apparemment ils n'étaient pas seuls à vouloir passer le soir de noël loin des fantaisies. D'ailleurs la plupart du temps, les refuges étaient fermés à cette date, ils avaient de la chance d'en avoir un d'ouvert. Et heureusement, pas de guirlande ni de boule de noël en décoration.

- Votre soupe est délicieuse !

- Merci Carolle, c'est agréable de savoir que ce que l'on prépare vous fait de bien, répondit la dame du refuge la main sur son coeur.

Christophe avalait du pain, quand le plat arriva à table : des pâtes garnies de fromage fondue.

- C'est agréable ce calme, dit Christophe en remplissant son assiette de pâtes.

Sa femme acquiesça. Pas de chant de noël et le plus beau dans l'histoire, c'est qu'à cette altitude, ils n'avaient pas de réseaux, donc pas de risques d'avoir un appel de leurs parents comme l'année dernière, pour leur souhaiter de joyeuses fêtes. Les parents de Carolle s'étaient faits à l'idée qu'ils ne verraient plus leur fille le soir de noël, mais ça leur fendait le cœur chaque année, alors ils appelaient ne serait-ce que pour entendre sa voix. Elle allait sans doute leur téléphoner de retour à la station de Courchevel, parce qu'elle ne voulait pas trop les décevoir tout de même. Elle savait que ça leur faisait du bien.

- Ah, je voudrais des semaines comme ça, sans devoir bosser.

- Moi aussi je voudrais profiter davantage, mais pour ce genre d'excursion, il nous faut de l'argent, chéri.

Christophe se mit à rire.

- Mais nous en avons, voyons !

- Eh bien justement, je voulais te demander si tu avais des nouvelles de la famille à qui tu as vendu une maison sur plans, dans la métropole lyonnaise, il y a trois mois ?

- Euh...non, pourquoi ? hésita-t-il.

- J'ai regardé nos comptes avant de partir, j'ai complètement oublié de t'en parler, mais nous n'avons pas reçu leur argent.

Il ne riait plus.

- C'est peut-être une erreur, j'appellerais ma conseillère dès notre retour.

- Ton conseiller, tu veux dire, je t'ai entendu vendredi soir au téléphone, répondit-elle assurée. Tu as un nouveau conseiller, n'est-ce pas ?

Il la regarda d'un air stupéfait de savoir qu'elle l'avait entendu et qu'elle s'en souvenait. Alors il se questionna : Que savait-elle réellement ? Son regarde semblait déjà tout connaître.

- En effet, cela m'était sorti de la tête, dit-il avec un sourire.

Elle montra à son tour un sourire, au moment où le dessert arriva à leur table. La soirée se passa calmement. Ils se couchèrent de bonne heure encore une fois, car le chemin à gravir était encore long.

Ils quittèrent le refuge à 8 h 00, en même temps que se levait le soleil. Ses rayons transperçaient la glace et la faisait briller par ce temps clair. Ils prirent alors la route à travers cette neige épaisse et brillante.

- J'ai besoin d'un repos, chéri, dit Carolle après 2h40 de marche.

Christophe se retourna, sa femme semblait à bout de souffle. Elle s'assit sur un rocher blanc, la main sur son cœur essayant de calmer sa respiration. Il attendit alors debout, qu'elle récupère. De cette hauteur, il put admirer la vue. Il apercevait au loin la ville de Courchevel, ses maisons et ses hôtels. Les pistes sur lesquelles en vérité il ne voyait pas ces amateurs s'amuser et tomber de manière les plus ridicules possibles. Ils les imaginaient se fracturer le ménisque en faisant les fous sur leurs skis ou leur snowboard. Ça l'amusait.

- Peux-tu me donner de l'eau, s'il-te-plaît ?

Coupé dans son imagination, il se tourna brusquement vers Carolle. Elle reprenait difficilement son souffle à cette altitude, comme toute personne normale. Il enleva son sac à dos, l'ouvrit et en sortit une grande bouteille d'eau. Ils l'avaient remplie au refuge avant de partir. En lui tendant la bouteille, il se rappela la soirée de la veille. Ça lui glaçait le sang de savoir qu'elle l'avait entendu vendredi au téléphone, il ignorait ce qu'elle savait, si elle n'avait entendu que cette brève conversation ou si elle connaissait davantage de choses. Que pouvait-il faire ? Lui poser des questions pour savoir ce qu'elle savait ou se taire et passer tout sous silence. Il l'aimait et ne voulait pas lui faire de mal.

- Merci.

Elle lui redonnait l'eau pour qu'il la range dans son sac. Elle reprenait enfin son souffle correctement et ils purent repartir. Mais, Christophe n'oubliait pas qu'il fallait éclaircir cette affaire.

La montée se faisait de plus en plus pentue. Christophe et Carolle allongeaient leurs pas et par moment elle s'aidait avec les rochers. Le froid devenait aussi de plus en plus glacial et il fallait accélérer la cadence pour garder un peu de chaleur. Heureusement pour eux, ils étaient tout de même bien équipés.

- La nuit va bientôt tombée, Carolle, il faut aller plus vite si on veut arriver au refuge à temps.

La lumière s'assombrissait peu à peu et la neige se mit à tomber tout à coup. Christophe accéléra, tandis que sa femme avait de plus en plus de mal à le voir à travers les flocons et la nuit tombante.

- Attends-moi ! criait-elle essoufflée et en panique.

Lui ne l'entendit pas et continuait sa route, jusqu'à ce qu'il discerne un hurlement derrière lui. Il se retourna immédiatement, mais rien. Il ne voyait rien. Sa femme ne se trouvait plus là. Il rebroussa chemin, tout en prenant garde à ne pas glisser.

- Christophe ! l'appelait-elle.

Il se stoppa net. N'étais-ce pas la meilleure chose qu'il pourrait se passer pour lui ? Un accident en pleine montagne, sans témoins serait bénéfique pour son affaire si jamais elle en savait trop... sa réflexion fut coupée, lorsqu'il vit son bras appelant à l'aide. Il courut vers elle d'un bond.

- Carolle, tout va bien ?!

Elle était là, perdue dans la neige qui commençait à la recouvrir dangereusement. Son visage était gelé.

- Dépêchons-nous, il faut arriver au plus vite au refuge.

Il l'a pris par le bras et la hissa en dehors de la neige. Ils grimpèrent les quelques mètres qui restaient côte à côte, la cabane arriva enfin dans leur vision. La lumière était allumée, ils accélèrent encore un peu. Christophe demanda de l'aide en passant la porte. Dans le refuge, trois grimpeurs dînaient et le gardien était présent avec un ami. Tous se précipitèrent sur le couple et les emmenèrent au coin du feu. Christophe regardait sa femme glacée par la neige. Il aurait pu la laisser là, passer sa mort pour un accident et tout serait oublié, mais c'était trop difficile...

Du sang dans la neigeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant