Chapitre 8

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Une caresse sur l'épaule suivie d'une petite secousse la sortit doucement de ses songes. Elle se releva, bâilla et se frotta les yeux, la tête encore dans le gaz. Il lui fallut quelques dizaines de secondes pour comprendre où elle se trouvait et pourquoi. Anubis attendait patiemment à côté, sous sa forme humaine.

- On y va déjà ? questionna-t-elle en baillant encore une fois à s'en décrocher la mâchoire. 

- Non, le soleil n'est pas encore levé. Il ne le sera pas avant encore quelques heures. 

En effet, la nuit régnait en maître tout autour d'eux. Néanmoins, une douce lumière de pleine lune éclairait les jardins. Le ciel était rempli d'étoiles qui brillaient de mille feux, sans la pollution visuelle caractéristique de sa période du XXIe siècle. 

Mis à part ça, on dirait le même ciel... Seulement cinq millénaires plus tôt.

- J'ai discuté avec quelques citoyens sur le chemin. Tu seras bien reçue, ne t'en fais pas. Je sais que ce n'est pas ton monde et que tu vas être perdue dans un premier temps, mais tu ne seras pas seule, la coupa Anubis de ses pensées. 

Allait-elle vraiment pouvoir s'habituer au confort minimaliste de l'Egypte antique ? Sans coussins, sans transports en commun, sans téléphone ? Pourtant, son pantalon avait l'air bien rempli... Anaïs fouilla distraitement dans la poche de son pantalon. Elle en sortit son mobile, un ticket de métro, les clés des bureaux pour son travail, un mouchoir usagé et quelques pièces de monnaie. Non seulement elle avait encore toutes ses affaires, mais, en plus, son téléphone était encore fonctionnel. A l'exception qu'il n'avait plus que trente pour cent de batterie et qu'elle ne captait aucun réseau ici. 

Ca m'étonnerait que je trouve une prise électrique dans l'Au-delà ou en Egypte antique...

Sans prévenir, elle bondit aux côtés d'Anubis, passa ses bras autour de ses épaules et plaça le téléphone en position selfie. L'appareil capture le sourire malicieux d'Anaïs et l'air d'incompréhension du Dieu égyptien pour immortaliser leur visage. Anubis se dégagea nonchalamment de la prise de la jeune femme et recula d'un pas, son regard hautain se perdant sur sa figure.

- Qu'est ce que c'est ?

Anaïs pouffa en regardant la photo et la lui montra. Anubis, surpris, déposa deux doigts sur l'écran tactile, ne comprenant pas comment marchait l'appareil.

- C'est une photo, mais vous êtes très loin de connaître cette technologie, expliqua-t-elle, satisfaite de son acte et de ses explications.

- Une photo ? Comment ça marche ?

- Ehm... C'est une histoire de boîte noire et de capteurs de lumière, je ne pourrais pas expliquer plus en détails.

- Je vois. Les Hommes ont bien évolué, d'après le peu que j'ai pu voir de ton époque. Même si l'apparence de vos villes est... hideuse. J'ai du mal à comprendre votre attrait pour tout ce gris et tous ces bâtiments collés les uns aux autres. 

- Ha, ha. C'est une trop longue histoire. Surtout que je doute que tu aies vraiment envie de savoir comment ont évolué les humains. Il n'y a clairement pas que du positif. Loin de là, même. Maintenant que je sais que les Dieux existent, je dirais même que je pense qu'ils nous ont abandonnés. 

- Abandonnés ? Quel Dieu ferait une chose pareille ? Certains sont... maléfiques, mais nous avons besoin des humains autant que vous avez besoin de nous. 

- Tous ? Ca fait des siècles qu'on n'a plus aucune preuve de votre existence, à part des mythes et des légendes. Sans preuve, les humains finissent par douter. Et c'est arrivé très vite, puisque les religions monothéistes ont totalement rayé les différents panthéons des croyances populaires. 

- Je vois. Nos deux mondes ont décidé de ne plus se confronter quelque part entre nos deux époques. Je ne pensais pas qu'une telle chose était possible. 

Un Dieu n'était qu'un individu banal sans personne pour le révérer. Un peu comme une autre espèce d'humanoïde, un peuple qui avait accès à la magie contrairement aux simples humains comme Anaïs. S'ils pouvaient se tanner d'avoir un statut supérieur à l'humanité, c'était avant tout parce que celle-ci même avait jugé qu'elle était inférieure à ces êtres magiques. Les humains avaient évolué de telle sorte qu'ils n'avaient plus besoin de l'aide des Dieux pour survivre. A son époque moderne, ils étaient au mieux ce que l'on pourrait qualifier de sorciers s'ils n'avaient personne pour les révérer. 

- Qu'est ce qu'on va faire le restant de la nuit ? Je n'ai plus sommeil après ma petite sieste, annonça-t-elle en rangeant son téléphone dans son pantalon après l'avoir éteint.

Même si elle n'avait pas de réseau, l'appareil pourrait se montrer utile si elle arrivait à conserver un peu de batterie. Une photo était un gâchis suffisant de cette ressource précieuse qu'était l'énergie. 

- Je peux te faire visiter la ville, mais... commença-t-il, l'air hésitant et le regard tout d'un coup fuyant. 

- Mais quoi ? 

Anaïs déglutit difficilement en attendant la réponse du Dieu. Elle ne le connaissait que depuis quelques heures, mais c'était suffisant pour comprendre qu'il n'était pas le genre à faire des blagues. Son air sérieux était clairement synonyme de mauvaise nouvelle. 

- Je te l'ai dit, les vivants n'ont pas leur place dans le Douât. Seuls les Dieux et les âmes jugées ont le droit de résider ici.  Une fois que tu regagneras le monde des vivants, tes souvenirs de l'au-delà s'effaceront.

- Alors... Je ne me souviendrai de rien du tout dans quelques heures ? demanda-t-elle pour confirmer ses propos, à moitié horrifiée. 

- Oui. Je suis désolé.

Son corps se figea sur place  alors que son cerveau tournait à vive allure. Cela voulait dire qu'elle allait potentiellement oublier sa rencontre avec le Dieu égyptien, et donc toute l'existence même du panthéon polythéiste. 

- Et ma vie d'avant ? Je vais me réveiller en Egypte antique comme si de rien n'était avec personne pour m'expliquer ce qu'il se passe ? 

- Ce sera comme si tu passais de ton époque à la notre directement, et je serai là pour t'expliquer à nouveau ce qu'il s'est passé. Tu ne perdras que quelques heures de souvenirs.

Il expliquait cela comme si ce n'était pas grave et comme si le concept qu'on lui vole une partie de sa mémoire - aussi infime soit-elle - n'était absolument pas quelque chose de dramatique. Elle ne voulait pas ne pas se souvenir de ce qu'elle avait vu ici, et la situation avait beaucoup plus de sens avec les informations qu'elle avait obtenues dans le Douât. 

- Il n'y a aucun moyen d'empêcher ça je suppose ?

- Non. 

Un soupir franchit les lèvres de la jeune femme.  Plus aucune de ses actions n'avait d'importance dans l'au-delà, maintenant qu'elle savait qu'elle allait tout oublier.  Elle était libre de faire tout ce qu'elle voulait. La question principale qui tournait dans sa tête était : qu'allait-elle faire de cette liberté ? Elle était dans un monde inconnu en compagnie d'un Dieu égyptien qui allait l'abandonner à son sort dans quelques heures. Un Dieu très séduisant, avec ses yeux chocolat, son regard perçant et sa lueur calculatrice et intelligente. 

Pouvait-elle se vanter qu'elle avait embrassé un Dieu ? Non, puisqu'elle ne s'en souviendrait pas dans quelques heures. Pourtant, Anaïs agit sous l'impulsion qui lui traversa soudainement la tête, comme un caprice, une expérience un peu douteuse et, la seconde d'après, ses lèvres d'humaine s'écrasèrent sur celles d'Anubis qui ne réagit pas, bien trop surpris par le geste. Il n'eut pas le temps de la repousser, puisqu'elle s'écarta d'elle-même après avoir déposé son simple baiser sur son visage outré, et ne put s'empêcher d'éclater de rire en le voyant porter ses doigts à ses lèvres pour s'assurer qu'il n'avait pas rêvé ce qu'il venait de se passer. 

- Pour qui te prends-tu, humaine ? demanda-t-il, la voix dénuée d'émotions. 

Simple question, aucune accusation dans son ton neutre. Cela se voyait dans son regard qu'il ne savait pas comment réagir face à l'affront de la jeune femme.

- Oh c'est bon, tu n'as qu'à l'effacer de ta mémoire, répondit-elle sarcastiquement. 

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Les Dieux du Nil - Tome 1 : La quête d'Anubis [édité]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant