Chapitre I. La nuit ou je t'ai rencontré

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Voilà longtemps que celle avec qui j'ai dormi.
Ô Seigneur ! a quitté ma couche pour la vôtre,
Et nous sommes encore tout liés l'un à l'autre,
elle à demi vivante et moi mort à demi.

                                        Victor Hugo.

Londres, 23h38.

                      Andréass Bellini

M'y voilà, au seuil de la mort. Comme on dit, la trentaine est la meilleure période de notre vie mais pour moi c'est la pire. Je pensais que le temps changerait les choses, mais le temps ne fait que passer et je prends la décision de changer les choses moi-même. Les ténèbres de la nuit recouvrent les rues, tristes et moroses de Londres, ce qui rend le spectacle encore plus déprimant. Comme une froide nuit d'automne. Je n'ai jamais été quelqu'un de suicidaire, je n'y avais même jamais songé jusqu'à il y a quelques jours. Mais mes démons me rattrapent désespérément sans cesse quand bien même que je fasse tout mon possible pour qu'ils restent enchaînés en enfer. Malheureusement même les médicaments ne peuvent plus rien pour moi. Alors c'est la fin. Plus de goût de vivre, plus de courage ni rage de combattre. Rien. Réfléchir ne servirait à rien, alors je grimpe et me dresse debout sur ce pont qui relie Westminster de Vauxhall. Je suis né accidentellement dans un bateau qui passait sous ce pont et c'est ici que j'y laisserais mes dernières pensées, mon dernier souffle. J'écarte mes bras, couvert par un manteau Birmingham qui m'a coûté bien trop cher. Je ferme les yeux et me laisse porter par le vent glacial, qui me donne presque l'impression de voler. Le froid de cette fin de saison me fouette le visage colorant le bout nu de mes oreilles et de mon nez, d'un rouge incarnadin. Ce qui est paradoxal c'est qu'à cet instant précis, alors que je me trouve aux portes de la mort, je me sens vivant plus que jamais. Le vide dans ma tête est fait, aucun regret ni remords. Personne ne m'attend à la maison, ni famille, ni femme, pas même un chien. Mais au moment de me jeter dans le vide, un étrange objet attire mon attention, du coin de l'œil. Je ne le sais pas encore mais cette chose va me sauver la vie. Un vieux carnet. Voilà ce qui m'accompagne dans mon acte de lâcheté, un vieux carnet posé sur le rebord de ce maudit pont. Ma décision est prise, je mourrais ce soir, rien ne m'y ferait renoncer, pas même cette vieille loque qui semble m'épier. Je fais impasse sur cet objet et me reconcentre sur mon réel objectif mais je n'y arrive pas. Alors que mon cœur espère de toutes ses forces que je saute, mes jambes m'y interdisent.

-Aller Andréass saute bordel ! Me dit cette foutue voix dans ma tête. Toute mes émotions refoulées se battent dans mon corps toute en même temps. Je renonce. Je saute de l'autre côté du pont puis me précipite sur cette horrible chose qui a chamboulé tous mes plans. Je pris Dieu qui qu'il soit pourvu qu'il existe que ce carnet mérite ma vie. Je le saisis et l'observe de longues minutes avant de me décider à l'ouvrir. A toi inconnu. Voilà ce qui est écrit sur la première page usées. Je balaye les alentours du regard espérant trouver l'individu à qui appartient ce carnet, mais personne. Juste moi et cette chose, seule sur le Vauxhall Bridge. J'hésite pendant plus de dix minutes avant de décider de rentrer chez moi avec le carnet comme si rien ne s'était passé, comme si je n'avais jamais tenté de me suicider. Une fois dans mon bureau, je tourne en rond en observant ce vieux déchet. Je n'arrive pas à l'ouvrir et découvrir ce que cache ses lignes, pourtant la curiosité me ronge de l'intérieur. Je meurs d'envie de le lire mais je n'ose pas car c'est peut-être privé et c'est mal de se mêler des affaires des autres. Je me mets presque à regretter d'être parti avec, son propriétaire a dû l'oublier et va le chercher. Mais cette phrase ; A toi inconnu, m'intrigue plus que tout. Après tout, je suis un inconnu alors j'ai le droit de le lire mais je n'en fais rien et part me coucher. Le réveil du lendemain est irréaliste et étrange, je n'ai jamais ressenti un sentiment pareil au réveil. La confusion. Mais maintenant que j'ai renoncé à la mort et choisi la vie, il est de mon devoir de reprendre ma pitoyable existence, et pour commencer me rendre au travail. C'est la chose la plus simple à effectuer pourtant la plus dure car mon travail est mon malheur. Si des gens lisaient mon histoire, ils m'injurieraient d'ingrat ou bien de salle riche car tout le monde rêverait d'être architecte, d'être riche car c'est ce que je suis mais ils ne savent rien. C'est cette voix qui m'a été tracée depuis toujours mais ce n'est jamais ce que j'ai voulu. Être écrivain. Voilà ce que j'ai voulu, ce que je veux et ce que je voudrais. Ainsi est mon rêve, produire quelque chose qui provient directement de mon âme, écrire de jolis mots, de jolies phrases jusqu'à ce que je n'en puisse plus. Transpercer les gens, les rendre plus sensibles à ce qui les entoure, voilà mon rêve. Je veux toucher, changer le monde par mon écriture. C'est peut être égoïste de ma part mais je l'accepte je ne suis qu'un sale riche égoïste. Cela étant, pauvres, aisés, enfants, adultes tous méritent de connaître le bonheur.

Alors que je me trouve dans l'ascenseur des locaux de Make Architects, la luxueuse porte de bois s'ouvre sur Wyatt, mon assistant.

-Monsieur Bellini vous voilà enfin ! je vous attendais, vous avez des dizaines d'appels manqués et vous avez des rendez-vous aujourd'hui. Bafouille-t-il tout affolé.

-Je m'absente une matinée et c'est déjà la pagaille, n'est-ce pas Wyatt ?

-Veuillez m'excuser monsieur mais je me suis inquiété pour vous, le message que vous m'avez laissé hier était très étrange et je n'ai pas compris le passage ou vous disiez que vous ne reviendrais plus au bureau. Déballe mon assistant sans prendre la peine de respirer. Il n'a pas compris le réel sens de mon message vocal d'hier et c'est tant mieux.

-Ecoutes oublies ce message s'il te plait. Soufflé-je, me dirigeant vers mon bureau dans l'espoir de m'y enfermer et de ne voir personne de la journée. Je regrette presque de ne pas avoir sauté de ce pont.

-Au fait monsieur ! Il y'a un homme qui vous attend dans votre bureau, il prétend s'appeler Leigh.

-Wyatt, je t'avais dit de n'accepter personne en mon absence. Dis-je agacée.

-Veuillez m'excusez mais il a insisté pour vous attendre.

Je ne peux m'empêcher de souffler et rouler des yeux. Je n'ai nul envie de m'entretenir avec Leigh ni avec personne d'autre d'ailleurs. Mon esprit est encore confus, meurtri, c'est trop tôt. Après avoir poussé la porte de ma pièce de travail, mon corps et celui de Leigh se confrontent. Il est vêtu d'un costume italien en laine Ferrante comme chaque jour. Ses cheveux noir ébène sont si bien plaqués sur son socle que même une catastrophe naturelle ne pourrait faire bouger un seul cheveu de sa coiffure.

-Andréass, je vous vois enfin. Déclare-t-il avant de s'emparer de ma main d'une poignée symbolisant la virilité et la puissance masculine.

-Avez-vous pu reconsidérer mon offre pour le projet ?

-Ecoutez monsieur Lengh, je ne fais plus ce genre de chose même pour un chèque d'un prix exorbitant voyez-vous. J'ai des rendez vous alors j'aimerais que vous me laissiez travailler. Il y a pleins d'autres architectes qui font ce genre de choses. Veuillez m'excuser. Répliqué-je ne le laissant pas en placer une seule. J'effectue le même geste de poignée de main que nous avions exécuté qu'il n'y a seulement quelques secondes avant de le pousser dehors. Je peux enfin souffler mais surtout lire tranquillement cet étrange carnet qui m'a empêché de trouver le sommeil durant cette sombre nuit. Je l'ai soigneusement emporté dans mon sac dans l'espoir d'avoir le courage de l'ouvrir une nouvelle fois. A toi inconnu. Que cela veut-il bien dire ? Qui est cet inconnu ? Est-ce le prénom de quelqu'un ? Suis-je cet inconnu ? Je ne vais pas tarder à le savoir.

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