Bouteille à la mer - 1

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J'aimerais pouvoir lire une histoire au sein de laquelle les anges ne sont pas tombés ; plutôt, ils ont sauté. Ils ont eux-mêmes décidé de s'arracher leurs propres ailes en sachant que leur Maître ne pourrait rien faire d'un tas de plumes abîmées et corrompues. Je veux des anges qui, ne pouvant défaire le Tyran qui exerçait un contrôle absolu sur l'entièreté de leurs vies, ont choisi de quitter leur terre natale pour partir à la recherche d'indépendance, acceptant le fait que l'exil, en un sens, possède aussi une forme de liberté. Et je veux voir les Enfers n'être finalement qu'un endroit hors de portée de celui qu'ils cherchent à fuir, un lieu où se retrouvent toutes les choses dont personne ne veut ; qu'elles prennent la forme d'anges sans ailes ou d'âmes refusant d'obéir.

Et, tout comme ces anges, je veux avoir le choix de suivre ma propre étoile, et ce même si elle n'est autre qu'une lumière déchue aux yeux des plus grands. Même si je dois chuter, comme les feuilles asséchées par le froid automnal, et voir mes ailes brûler d'un éclat doré en traversant l'atmosphère. Car s'ils sont nombreux à parler de damnation, une part de moi reste certaine que Lucifer affirmerait plutôt que Dieu a simplement choisi ceux qu'Il préférait.

C'est une idée qui grandit en moi depuis déjà des années, lorsque j'ai réalisé que je n'étais pas réellement ce que le monde aimait ; quand tenter de me protéger de leurs rires m'a mené à ôter de ma peau mutilée des centaines d'échardes toujours plus épaisses les unes que les autres, certaines d'entre elles étant parvenues à se loger au sein d'endroits dont je n'avais jamais réalisé l'existence. Depuis que j'ai entendu mon père affirmer qu'être dans sa maison signifiait qu'il était le seul à pouvoir établir des règles et que si cela ne me plaisait pas, je n'avais qu'à partir. Comme s'il était le gardien tout puissant d'un temple qui lui était probablement aussi dédié. J'avais l'impression que, pour pouvoir garder un toit au-dessus de ma tête, je devais vénérer ces règles. Être obéissant, bon à l'école, parler uniquement pour partager un avis positif avec un ton aussi doux que possible, ne jamais lever la voix. Être parfait. Et ne jamais se montrer ingrat envers le fait d'avoir une maison – après tout, beaucoup priaient pour en avoir une.

Mais je n'ai jamais vu d'homme dans le ciel. A la place, j'ai vu des dieux danser sur des scènes de concerts, ou dans le regard paisible d'un chien venu quémander de l'attention au beau milieu d'un parc, et ce malgré l'averse qui les trempaient, lui et son propriétaire. Lorsque je sentais la présence de Dieu en visitant un lieu saint, c'était à travers un frisson désagréable, la sensation terrifiante de mains grisâtres effleurant mon corps. Je l'ai connu de la même façon que les êtres brisés – comme un voile, un filet, un coup de vent plus éphémère qu'un coquelicot sanglant. Pour moi, Dieu était à côté d'une vieille pompe à essence, dans une ruelle sombre dont le parfum douloureux colle pour l'éternité à un t-shirt neuf. Il était au cœur des horribles vérités de ce monde, le genre qui font s'ouvrir un trou noir infernal dans l'estomac à chaque tentative manquée de déglutir. Il fut un temps où j'accueillais cette entité invisible dans des potions faites de boue et d'herbes douteuses que je prétendais de boire avec un grand sourire sur mes lèvres sales.

Son texte sacré comporte tellement d'histoires narrant le retour d'un amour menacé. Même Caïn se voit offert l'écho d'une proposition de rédemption. J'ai toujours méprisé cette métaphore du fils perdu, la sentant imbibée dans des pages millénaires pour forcer un pardon amer. Je n'ai jamais eu le choix de faire demi-tour. Je n'ai jamais été un adorable petit être au cœur laqué portant dans ses bras un agneau innocent. A la place, j'ai ri, hurlé, pleuré, triché et menti en escaladant les toits de ma ville corrompue ; j'ai commis d'innombrables péchés aux yeux lumineux de cette image éternellement translucide que d'autres ne cessent d'adorer. Et, pire encore, j'ai éprouvé du désir. J'ai voulu. Demandé. Blessé pour avoir. Leur Paradis est une contrée où tout le monde tord ses cervicales vers le bas sans jamais rien désirer, les laissant grincer lorsqu'ils relèvent la tête pour accueillir les nouveaux agneaux. Et comme le premier Paria, le pécheur que je suis a brûlé ses yeux dans le vide des leurs et dit – je ne suis pas chez moi, ici, car je veux plus. J'ai enfoncé une épaisse couronne de ronces sur ma tête, laissant les larmes de mon propre sang rouler sur mes joues et teinter mes lèvres pâles. Les regardant offrir un sourire faussement aguicheur d'un air couvert de lassitude tandis que leurs voix aidaient la musique ambiante à arracher mes oreilles déjà sourdes.

Alors ? C'était comment, la chute ?

Mais je n'ai jamais chuté ; oh non, car on m'a poussé. Les hurlements du sol sous mes pieds m'ont fait trembler, et les cors royaux ont vêtu le rôle de sirènes de guerre. Ils m'ont dit d'être moi-même, mais en silence. Cela signifiait retenir mon souffle et me laisser devenir un pauvre tas de cendres avant que quelqu'un ne soit touché par mon parfum de fumée et débarque en courant. J'ai posé mes yeux fatigués sur chaque membre de ma famille, la sûreté de leurs étreintes, le calme de mon existence et j'ai dit – allez vous faire voir. Si vous décidez de brûler chacune de ces images pour me forcer à partir, cela ne me donnera rien d'autre que la preuve dont j'ai besoin pour poursuivre celui qui a fait naître les flammes.


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Marée NoireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant