XI - Troisième tentative

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C'était le grand jour. Alexandra avait repoussé le moment de retenter son ascension de plusieurs semaines, histoire d'avoir les deux bras fonctionnel le jour J.

Son sac à dos sur les épaules, elle se tenait devant le monte-charge de son immeuble. Elle retenait son souffle en attendant que son complice remplisse son office. Elle n'eut que quelques secondes à patienter avant que la porte du monte-charge s'ouvre. Alexandra s'engouffra dans l'espace exigu. Il était fait pour transporter des colis, pas des humains. Alexandra dut donc se contorsionner pour pouvoir entrer sans que rien ne dépasse.

Sans parvenir à réaliser qu'elle y arrivait enfin, Alexandra montait jusqu'au 10e étage. Le trajet était court, se terminant directement dans le salon du penthouse. Sans parvenir pas à croire que ce soit si facile, elle sortit du monte-charge. Elle se tenait debout au milieu du salon de l'appartement le plus élevé de son immeuble. Il n'y avait pas de mur de poissons exotiques, comme elle l'avait imaginé, mais un aquarium de taille raisonnable avec du corail. Pour le reste, elle avait deviné juste. La décoration était sobre, élégante et tout était si impeccable que c'était à s'en demander si quelqu'un vivait véritablement dans cet appartement.

Alexandra ne s'attarda pas outre mesure. Elle devait trouver l'accès au toit. Elle fit le tour du penthouse, ouvrant toutes les portes jusqu'à trouver la bonne. Elle monta les escaliers déverrouilla la dernière porte entre elle et son objectif, et enfin, marcha sur le toit.

Alexandra ne s'était jamais sentie autant euphorique. Laissant la porte grande ouverte, elle avança vers le centre du toit. Les bras écartés, le visage levé vers le ciel elle se sentait reine du monde. Elle avait envie de rire, de crier de tous ses poumons, ce qu'elle ne se priva pas de faire. Heureuse comme jamais, elle courut vers le rebord du toit pour avoir une meilleure vue. Alors qu'elle se penchait pour regarder ce qui se passait en bas, elle entendit une voix derrière elle :

-Pas un geste !

Alexandra se figea et leva spontanément les deux mains en l'air. Elle se retourna tout doucement et découvrit l'habitant du 10e qui pointait un pistolet dans sa direction. Alexandra ne comprenait pas ce qu'il faisait là, il n'aurait pas dû être chez lui à cette heure-là de la journée. Malheureusement pour elle, suite à un rendez-vous annulé, il avait décidé de repasser par son penthouse. Il était entré au moment même où Alexandra laissait exploser sa joie d'avoir atteint son objectif, le guidant vers la porte ouverte qui menait au toit.

C'était un homme entre deux âges aux larges épaules et au regard d'un bleu perçant. Tout dans son apparence trahissait son statut d'homme puissant, de l'odeur de son after-shave à sa confiance excessive en lui-même qui lui faisait se croire capable d'appréhender un cambrioleur à lui tout seul.

-Écoutez, tenta Alexandra, baissez votre arme, c'est un malentendu.

-Vous entrez chez moi par effraction, vous me volez et vous appelez ça un malentendu ?!

-Il est vrai que les apparences ne jouent pas en ma faveur. Mais laissez moi vous expliquer... D'abord, je ne vous ai rien volé...

-Ah bon ? Qu'est-ce que vous faisiez chez moi alors ?

-Je voulais accéder au toit.

L'homme plissa les yeux, évaluant Alexandra du regard. Elle se payait sa tête. Il n'y avait rien d'intéressant sur le toit, pourquoi vouloir y accéder ?

Il s'approcha lentement d'elle, la tenant toujours en joue. La respiration d'Alexandra se fit de plus en plus saccadée. Qu'allait-il lui faire ? Comptait-il vraiment lui tirer dessus ?

-Enlevez votre sac, exigea-t-il.

Toujours lentement, par crainte qu'un geste brusque n'incite l'homme à se servir de son arme, Alexandra fit glisser son sac à dos de ses épaules, puis le posa entre eux. Il regarda le sac, puis Alexandra, puis de nouveau le sac, hésitant à le fouiller lui-même quitte à baisser son pistolet ou à demander à Alexandra de le faire quitte à lui laisser la chance d'en sortir une arme quelconque. Finalement il se décida pour la première option.

L'homme s'approcha pour ouvrir le sac. Lorsqu'il vit ce qu'il contenait, il baissa son arme.

-Qu'est-ce que c'est ? Demanda-t-il soudain redevenu calme.

Alexandra l'observa un instant avant de répondre :

-Lâchez votre arme et je vous explique.

L'homme hésita. Puis finalement, décomposant chacun de ses gestes pour qu'Alexandra les voie bien, il enleva le chargeur, ainsi que la balle qui était déjà engagée dans la chambre. Il passa le canon dans la ceinture hors de prix de son pantalon hors de pris et rangea les balles dans les poches de sa veste (hors de prix aussi). Il leva les deux mains, paumes ouvertes, dans la même position qu'Alexandra quelques instants plus tôt. Celle-ci hocha la tête. Il baissa de nouveau les mains et s'approcha du contenu du sac qu'Alexandra commençait à étaler sur le sol.

Elle lui indiqua la fonction de chacun des éléments de son prototype à mesure qu'elle les assemblait. Il écoutait, fasciné.

Une fois que tout le dispositif fut installé, Alexandra déclara :

-Et maintenant, il n'y a plus qu'à attendre que ça charge. Ça fonctionne à l'énergie solaire, vous voyez, ajouta-t-elle en désignant les petites cellules photovoltaïques.

L'homme hocha la tête, impressionné par la démonstration d'Alexandra.

-Et alors, ça marche votre truc ?

Alexandra ne put retenir un petit ricanement ironique. Il lui semblait qu'on lui avait déjà posé cette question...

-Ça va marcher, répondit-elle avec certitude. Il faut juste attendre que les batteries soient pleines.

L'homme croisa le regard déterminé d'Alexandra. Il lui sourit, ayant manifestement oublié qu'une demi-heure plus tôt il la menaçait d'une arme.

-En attendant, ça vous dit de grignoter quelque chose ?

Alexandra, désarçonnée par la proposition, balbutia un « oui, si vous voulez » en le suivant à grands pas, car il n'avait pas attendu la fin de sa phrase pour se diriger vers les escaliers.

Autour du dîner, Alexandra apprit que son hôte s'appelait Guillaume Philostéphanos. C'était un self-made man qui avait fait fortune grâce à son entreprise de courtage (Un requin donc - oh, quelle surprise !). Il avoua être séduit par l'ingéniosité et la détermination d'Alexandra, qui lui rappelaient la sienne à ses débuts. Alexandra ne fit pas de commentaire, lui laissant le monopole de la parole. Guillaume Philostéphanos lui raconta ainsi par le détail tout son parcours, toutes les difficultés qu'il avait surmontées pour enfin parvenir au sommet, mais aussi la crainte perpétuelle qu'il avait de tout perdre et de revenir à la case départ.

En l'écoutant, Alexandra se dit que finalement, elle n'avait pas envie d'habiter au 10e étage. À quoi bon posséder autant sans être capable de vraiment en profiter ? Elle repensa à Félix Eurus et son sempiternel sourire sur le visage. Elle se dit alors que ce devaient être les habitants du 7e les plus heureux, car ils ont suffisamment de coquillages pour vivre confortablement, sans pour autant être perpétuellement tiraillés par la crainte de se faire dépouiller.

Guillaume Philostéphanos l'arracha soudainement à ses pensées, indiquant le soleil qui amorçait sa descente. Ils se levèrent précipitamment pour rejoindre le toit. Le coeur d'Alexandra battait la chamade. Elle allait enfin pouvoir tester son prototype.

Alexandra avait conçu un papillon électronique d'une vingtaine de centimètres d'envergure qui, déclenché par un détecteur de mouvements, s'envolait pour aller éclairer les pas des noctambules.

Alexandra et Guillaume, accoudés au parapet auquel était accroché l'un des détecteurs, guettaient le moindre signe de vie en contrebas. Ils attendirent en silence que la nuit tombe complètement, le papillon posé entre eux.

Enfin, ils entendirent l'écho de la porte de l'immeuble qui se refermait, suivi de pas dans la rue. Alexandra retint son souffle. Sous ses yeux, les ailes du papillon s'agitèrent, comme pour se dégourdir. Puis l'appareil s'alluma et l'insecte s'envola pour rejoindre la personne l'ayant déclenché.

Dans la rue, Kendra leva la tête vers la clarté inattendue venant du ciel habituellement obscur. Bouche bée, elle admira le papillon d'Alexandra qui voletait au-dessus de sa tête, ses ailes phosphorescentes illuminant son visage émerveillé.

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