Je clopine maladroitement, cherche mon portable dans mon sac tout en pestant contre moi-même, car j'arrive à sa hauteur et je ne trouve toujours pas mon téléphone. Ma tentative d'ignorer cet individu va tomber à l'eau, ensuite je ne serai qu'une autre personne sans cœur qui refuse de perdre son temps à aider autrui.

Devant lui, j'entends renifler, je tourne la tête dans sa direction et reconnais cet homme discret qui vit en face de chez moi. Machinalement... je m'assois à ses côtés en retenant mon souffle. Qu'est-ce qui ne va pas avec moi ? Choquée par ma propre audace, je fixe devant moi en cherchant un texte assez pertinent qui expliquerait ma façon grossière de poser mes fesses si près de lui... cependant, il n'y a rien, absolument rien dans cette fichue tête vide. Je ne sens que son regard sur moi, enfin disons plutôt qu'il me dévisage. Je dois avoir l'air étrange à me tenir trop droite pour que ça soit normal, de plus, il n'y a rien à observer devant nous. L'envie de gémir de honte me chatouille la gorge, de fuir à toute vitesse, d'oublier ce moment inconfortable pour toujours. Malheureusement, si je l'ai reconnu, ça doit être pareil pour lui.

Je me sens ridicule et relâche la pression pour oser un coup d'œil dans sa direction. L'idée de lui sourire se dissipe dès que je croise ses prunelles voilées par un chagrin vorace. Il se morfond depuis longtemps, ça se voit. Cet homme pleurera sans doute pour des années encore... le pauvre. Ses yeux sont d'un bleu foncé, des petits points plus clairs contournent ses pupilles, on dirait une nuit pleine d'étoiles. Il a une barbe de quelques jours sur une imposante mâchoire, ses cheveux foncés sont éparpillés sur sa tête, comme si plus rien n'avait d'importance... Ses joues sont humides... la preuve que sa tristesse refuse de s'amoindrir un tant soit peu, ça fait peine à voir.

C'est bien lui. Je revois sa silhouette à travers la grande fenêtre de son salon, je crois, ou peut-être s'agit-il de sa chambre à coucher, je l'ignore. Cela dit, il habite incontestablement dans l'immeuble d'en face. Je me demande si la raison pour laquelle il s'enferme trop souvent chez lui provient de cette mélancolie. Triste, il doit se morfondre pour je ne sais quelle raison. Serait-il atteint de dépression chronique ? Que peut-il bien le rendre aussi malheureux ? Serais-je trop curieuse ? Absolument, mais je m'en fiche.

– J'adore venir ici, marmonné-je avec l'envie de me gifler parce qu'il fronce les sourcils sans comprendre.

Je poursuis en lui montrant la verdure devant moi :

– J'aime imaginer un lac, juste là. Il y aurait des canards, des plantes tout autour, des fleurs, et quand les passants s'arrêteront pour se reposer un peu, ils pourront contempler un peu de beauté que la nature nous offre.

– Avec des canards ? réplique-t-il avec humour.

Sa voix enrouée prouve qu'il est vraiment mal en point.

– Avec simplicité, je réponds en souriant.

– On veut toujours plus que ce qu'on a. On oublie si facilement que la vie peut être belle, avec rien de plus qu'une journée ensoleillée, un parc verdoyant, la nature qui nous rappelle d'où l'on vient.

Son regard perd un peu de son chagrin, les étoilent se répandent, éclaircissent ses prunelles, et mon cœur se comprime de joie, parce qu'il sourit. J'aime assez contribuer à amoindrir sa détresse. Je ne regrette pas de m'être si vulgairement assise.

– Dieu, que tu es niaise ! me taquine-t-il.

Je plisse les yeux, cherche la signification de cette pique, mais ne trouve aucune trace de méchanceté, et puis, c'est vrai que je suis assez simplette à mes heures perdues. Je ris à sa franchise mal placée, j'essayais de l'aider, merde, un peu de sympathie ! Quand il pouffe discrètement, je me sens presque soulagée. Peut-être qu'il ne pleurera plus ? Bien sûr, et toi tu auras changé sa vie !

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