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« Cher Journal,

Je suis contente de te trouver. Tu seras mon nouvel ami... Celui qui écoute, sans me juger. J'ai tellement besoin de quelqu'un à qui me confier... Je ne vais pas bien du tout, tu sais ? J'ai fait des choses pas convenables dans le passé, et je le paye maintenant.

Je le paye depuis des mois... Je crois que ça durera encore longtemps... jusqu'à ma mort.

Je pourrais cesser de souffrir, cela dit, je n'ai pas le courage de mettre fin à mes tourments. Je suis lâche, je suis inutile, je ne suis rien... Il a raison.

C'est pourquoi je fais tout comme il veut. J'obéis, je souris, je simule et en demande encore... Parce qu'il aime ça. Il adore quand je me rabaisse pour une caresse, une gentillesse, une douceur... et je m'exécute sans rechigner. Pitoyable petite chose que je suis, j'ai honte.

J'en ai besoin, comprends-moi. J'ai tellement besoin d'amour. Et lui a besoin d'un jouet vivant... Alors, je comble ce rôle en espérant qu'il comble mon manque. »

***

Ce jour parfait, chaleureux, ensoleillé, plein d'espoir se termine comme les autres : avec déception. Toute ma motivation semble avoir disparu dans ces locaux. J'allais tellement bien avant cet entretien d'embauche, et leur refus indélicat m'a rappelé l'injustice de ce monde. J'ai les compétences, je suis capable d'encoder des données, merde. Malheureusement, je ne suis l'amie, la connaissance ou la famille de personne... Bon, c'est un peu sournois de dire ça, je l'avoue, mais je me sens tellement oiseuse après chaque tentative... Ma balade au parc que je traverse pour rentrer chez moi n'arrange pas grand-chose. Il n'y a pas beaucoup de monde, hormis quelques couples chanceux, se tenant la main. Une ou deux femmes trop pressées pour observer quoi que ce soit, et un homme âgé perdu dans ses pensées.

Quand le monde a-t-il perdu son importance ? Quand avons-nous arrêté de nous émerveiller de ce qui nous entoure, de la nature, de la vie ? Quand avons-nous cessé de nous soucier de notre prochain par simple altruisme ? Est-ce à cause de la technologie ? Certainement. Il est tellement plus facile d'épier la vie des gens à travers les réseaux sociaux, que d'oser leur parler yeux dans les yeux.

C'est déprimant, je devrais arrêter d'analyser tout ce qui m'entoure, on dirait une grand-mère qui regrette le bon temps, dire que je n'ai qu'un quart de siècle ! Il faut vraiment que je me trouve plus d'amis de mon âge. Et puis, je marmonne toute seule, on pourrait croire que je suis folle ; cependant, personne ne se soucie vraiment des passants.

Il faut absolument que je me change les idées. Sortir de mes pensées cette peste hautaine qui a carrément roulé des yeux quand je lui ai tendu mon Curriculum Vitae. Ils n'ont pas le droit de faire ça, mais peu importe, à qui puis-je bien me plaindre ? À ma meilleure amie évidemment !

J'ai beaucoup de temps à perdre avant que Nathalie termine son boulot... Elle en a un, elle ! Argh, je suis un cas désespéré !

Ma contrariété se dissipe face au triste spectacle qui m'apparaît. Je ralentis, un malaise s'installe dans ma poitrine, distraitement, je regarde autour de moi pour vérifier si je suis la seule à voir que, sur un banc public juste devant moi, un homme pleure. Je fulmine dans ma barbe, personne ne semble avoir le temps pour se montrer un minimum humain de nos jours... Je me sens peinée pour lui... Bordel de merde, que dois-je faire ?

Option numéro un : j'agis comme tout le monde et passe devant lui, téléphone en main pour feindre un intérêt quelconque pour je ne sais quoi afin de ne pas le remarquer.

La deux : je reste humaine, m'assois pour lui proposer mon aide... Voire un peu de compagnie tout simplement.

Je ne pense pas que ça soit un sans-abri, sa tenue me semble trop classe, et bien propre. Il pourrait s'agir d'une rupture, d'un décès tragique qui vient de se produire dans sa famille, ou... je ne sais pas, cela dit il me fait énormément de peine. Je réfléchis vite, bientôt je serai assez près pour qu'il sente ma présence, donc, sans hésiter, je choisis l'option numéro un. Je ne le connais pas, après tout. Il pourrait être dangereux. Ou, me remballer sans tact, alors je me sentirai honteuse... J'ai eu ma dose de mal-être durant cet entretien, je n'ai vraiment pas besoin de me sentir plus misérable encore.

Cher Journal...Där berättelser lever. Upptäck nu