3- Proust et ses madeleines

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Cher correspondant,

J'espère que tu te portes bien.

Voilà deux semaines que je t'ai écrit pour la première fois,

Et, force est de constater, que ma missive demeure,

Sans réponse de ta part.

Peut-être as-tu besoin de plus de temps ?

Peut-être es- tu perfectionniste ?

C'est un trait de caractère que j'admire.

-

Cependant, je ne te cache pas que,

Voir les autres débarquer avec leur sourire niais au visage,

Arborant leur lettre comme de grands crétins,

M'a provoqué un léger pincement au cœur.

-

Samedi, 22 h 56,

Assis sur le rebord de ma fenêtre, une douce mélodie comme musique d'ambiance,

Je t'écris ma troisième lettre.

Le thème de la semaine ?

« Parlez de votre enfance ».

Ça va être une très longue semaine.

-

Non mais sérieusement?

Quelqu'un a déjà appris à ce foutu prof à se mêler de ses affaires ?

-

Mon enfance ?

Elle est quelque part entre ici et ailleurs.

Ailleurs ? C'est la Grèce .

Quand j'étais enfant,

Ma mère me prenait avec elle durant de longs voyages,

Afin d'essayer de retrouver mon père,

Qui s'était cassé comme un lâche au pays,

Lorsqu'il avait appris qu'elle était enceinte de son merdeux.

Pas mal le papa.

-

Mais ne croit pas que ma mère vaut mieux,

Ni qu'elle est le cliché de la femme forte et courageuse,

De la madone élevant son enfant seule et l'aimant inconditionnellement,

Car ma mère est une énorme connasse,

Alcoolique et névrosée.

-

Elle me bondit à la gueule pour un oui ou pour un non.

Elle me hait, et s'assure de me le faire comprendre chaque jour,

Depuis que je suis sur cette maudite planète.

-

Selon elle,

Je ressemble à mon « connard de père,

Avec le même caractère de merde ».

-

Je n'ai jamais été le fi-fils à Maman.

Elle a toujours refusé que je l'appelle Maman.

-

Je n'ai jamais eu de mots ou de gestes tendres,

De beaux habits, les cheveux bien peignés

Ou de goûters d'anniversaire.

-

Cependant, j'avais le droit d'aller me faire foutre,

Et de sortir dès l'âge de cinq piges pour acheter ses foutues clopes,

Qui empestaient toute la baraque.

Je déteste la clope.

Ironique, sachant que je fume moi-même aujourd'hui.

Le mimétisme parait-il.

-

Comme tu peux donc l'imaginer,

J'ai adoré mon enfance.

-

Seul le soleil de la Grèce,

Les heures passés dans le jardin de mes grands-parents,

Les gâteaux de ma grand-mère,

Et le sourire de mon grand père subsiste dans mon cœur,

Comme étant ma seule madeleine de Proust,

Le seul souvenir doux de mon âge tendre.

-

Sinon,

Il ne me reste que les bâtiments gris,

Le trottoir froid,

Et le bureau tabac de la rue Morel,

En bas, à côté de la superette.

-

Dans l'attente d'un signe de ta part,

Bien à toi.

Ulysse

Cher correspondantWhere stories live. Discover now