Elle marque une pause et laisse son regard sonder ce visage masqué.

— Des années à ne pas revenir parmi nous et maintenant que vous êtes là, je suis étonnée que vous ne vous contentez que de miettes de pain. Alors je répète : aurait-il un problème que vous n'osez mentionner ?

Un rictus involontaire s'impose sur mon visage. Ce n'est pas surprenant de voir que les grandes têtes de notre monde commencent à se poser des questions sur Aleksander. Et cela me rassure sur un point. Prouver qu'il est le célèbre guerrier en mettant à mal quelques groupes ? Suffisant seulement pour un temps. Parader à des soirées, s'amuser avec des femmes, tout ceci l'écarte de ce qu'il est censé être. De ce que j'étais.

Le porteur de lumière, leur soi-disant mantra. À mon temps, jamais, bon sang, il ne me serait venu à l'idée de venir flâner à des soirées. Quand bien même j'aurais été invité par des célébrités telles que Mckenna, mon seul et unique but était clair. Et ce, pour tout le monde. La destruction des Hayes, des chasseurs. De tous autant qu'ils sont.

« Il ne lui a manqué qu'une seule chose. »

Je ferme les yeux et appuie l'arrière de ma tête contre la haie piquante dans une grimace.

« Un clan. Seul contre tous, le résultat était évident. »

Une bouffée de haine comprime mon abdomen, rehaussé par ce torrent de flammes dévorantes que je n'ai pas ressenti depuis tant d'années. Cette tempête destructrice qui ne me quitte jamais. Ce désir puissant, mordant, de vengeance. Celui-là même qui m'a conduit à arracher tant de vies, à noircir définitivement mon être déjà souillé. Ce besoin, brûlant, de venger ma famille. De me venger moi.

Sèchement, je me secoue mentalement et me force à refouler ces sensations qui n'ont plus lieu d'être. Tout ça, c'est fini. Inutile de continuer à y penser. Je ne peux pas y replonger.

Bordel, je l'ai promis.

Je ne peux pas davantage me perdre.

— Après tant d'années à ne rien faire, il me semblait juste de débuter par des chasseurs médiocres.

— Est-ce votre proximité avec la mort, la toute dernière fois, qui vous rend aussi prudent désormais ? ricane-t-elle, moqueuse. À votre époque, il était rare que vous ne vous attaquiez à si peu.

— Rare mais pas impossible. Par deux fois, j'ai été proche des Hayes. Et par deux fois, j'ai échappé à la mort.

Je pince mes lèvres l'une contre l'autre et fronce les sourcils. Par deux fois...

Mini moi a bien appris sa leçon, hein...

— Pour la troisième fois, je refuse de me louper. Cette fois-ci sera la bonne, peu importe le temps qu'il me faudra. Et il va m'en falloir.

— Oh. Alors les Hayes sont toujours dans vos projets ? commente McKenna, visiblement satisfaite.

— Toujours. Je ne connaîtrai jamais le repos tant qu'ils seront parmi nous. Tant que je n'aurai pas leur sang sur les mains. Je ne le pourrais.

Je détourne les yeux, la mâchoire serrée. Parce que cette phrase, cette simple phrase fait dangereusement écho avec moi, en moi.

Elle est d'une justesse effrayante. Mais il y a bien longtemps que j'ai appris à faire avec. Que j'ai compris que je n'avais pas le choix.

N'est-ce pas ?

— Tant de paroles dictées par un homme torturé dans un regard aussi juvénile. J'admets qu'à chaque fois que je le constate, je suis bluffée. Comment faites-vous ?

Cœur Obscur [Tome 2]Where stories live. Discover now