3 | June

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"Tout le monde est heureux au royaume des aveugles."

June

J'ouvre la porte d'entrée en ressassant les mots du proviseur. En début d'après-midi, alors que je m'apprêtais à retourner en classe, tout le lycée a été convoqué en salle de conférence.

On nous a appris que M. Moore s'était suicidé durant les vacances de Noël. Ils n'ont pas spécifié de quelle manière, mais j'ai entendu la rumeur qui s'est propagée dans les rangées de sièges ; il se serait pendu à son domicile.

La raison de son absence depuis la rentrée.

C'était mon professeur de maths. C'était aussi la seule personne du corps enseignant qui me fichait la paix quand je m'assoupissais sur mon bureau au dernier rang. Il ne m'en voulait pas d'échouer dans sa matière. Il était bienveillant et m'encourageait quand j'avais une meilleure note que la précédente – même s'il s'agissait seulement d'une augmentation de cinq pour cent.

Parfois, il perdait le fil de son cours et commençait à nous parler de son petit garçon. Dans ces moments-là, il avait des étoiles dans les yeux. Tout le monde l'adorait. Les jours où j'étais au plus bas, j'étais contente de rentrer dans son cours et de savoir que j'aurais le droit de m'éteindre au fond de la salle en toute impunité.

C'était mon seul allié dans cette école.

Et il est mort.

Je retire mes chaussures lentement, j'ai encore mal aux genoux. Lorsque je me redresse pour ranger ma veste sur le porte-manteaux, je tombe nez à nez avec la sienne. Son parfum entêtant me prend à la gorge. Est-ce possible de détester quelqu'un au point d'avoir envie de vomir ?

Heureusement, ils sont déjà partis pour le dîner. Elle est seulement revenue se changer, ce qui explique cette effluve encore récente dans le couloir.

J'avance jusqu'au salon. L'horloge murale indique qu'il est près de dix-heures trente. J'ai fini les cours il y a longtemps, mais j'ai traîné au centre commercial de Westfield pour être certaine de ne pas les croiser en rentrant. Un mot est posé sur la table en verre. L'écriture est instable ; elle le pressait sûrement.

« Ne nous attends pas pour le dîner. On est chez la mère de Suzan. Ne te couche pas trop tard. »

« On. »

Je trouve ce pronom indéfini amusant. Il désigne une structure dont je suis complètement exclue.

Papa, Suzan et Gabriel.

Ils forment un tout alors que moi, je ne suis que la rescapée de son ancienne vie. Je suis sûre qu'il aurait préféré que je parte avec elle pour complétement l'oublier.

Je froisse le papier entre mes doigts et le jette à la poubelle. Pas besoin de faire semblant de se soucier de mon nombre d'heures de sommeil. Dans un soupir, je sors un paquet du nouilles instantanées du placard et je les mets au micro-onde. D'un air absent, je fixe le plateau se mettre à tourner dans un bruit assourdissant.

Qui écrit encore sur des bouts de papier, de nos jours ? Un SMS aurait suffi. Tout ce qu'il fait m'énerve.

Le bip du micro-onde me ramène à la réalité, et je pars m'asseoir sur le canapé avec ma nourriture. Je n'ai rien mangé à midi, mon altercation avec Holly m'avait coupé l'appétit, et mon Starbucks du centre commercial était en fin de compte un peu léger. Le bol est chaud sur mes cuisses, j'allume la télé sans me soucier des gouttes qui pourraient gicler sur son précieux canapé exporté d'Italie.

TROUBLEMAKER | 1 & 2 [Sous contrat d'édition chez BMR]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant