Chapitre 1

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Une fine pluie tombe depuis ce matin, le bruit de la ville résonne par la fenêtre de la seule chambre de mon petit studio. Il est à peine six heures du matin. Encore un fois je me suis endormie sur mon bureau, encore habillée de mon pantalon vert kaki et le chemisier que j'avais décidé de porter la veille pour mon rendez-vous chez l'éditeur chef de la petite maison d'édition Dam's.

Cette fois-ci, j'avais vraiment l'espoir d'obtenir une réponse positive à ma demande. Cela fait deux ans que j'essaie de faire publier mon roman, en vain. J'obtiens toujours la même réponse : « trop dense », « trop ennuyeux », « trop triste », « le public ne veux pas de ce genre d'histoires » etc. C'est toujours la même chose, pourtant, ce que j'écris est la vérité. Ça peut sonner prétentieux mais dans tous mes recueils j'essaie de critiquer implicitement la société dans laquelle je vis. Une société corrompue, avaricieuse et pleine de vices malsains. Cette société du plus fort, du plus puissant, qui n'hésite pas à écraser les échelons les plus bas de la hiérarchie des sois-disant « classes sociales ». Encore un concept absurde inventé pour encadrer de façon moins douloureuse la classe dite « moyenne ». Celle à laquelle je suis censée appartenir d'ailleurs, même si je n'ai même pas de quoi payer un studio de 18 mètres carrés mal situé sur la périphérie parisienne.

Cet enchaînement de refus m'a fait perdre quasi toute mon épargne, et bien avancée dans ma vingtaine je commence à réaliser que je déteste ma vie. Mon avenir est flou, et mon passé inutile. Des fois je ne peux pas m'empêcher de croire que j'ai fait le mauvais choix en essayant à tout prix d'être écrivaine. Je me suis endettée jusqu'aux oreilles pour pouvoir faire des études de lettres à la Sorbonne et aujourd'hui, presque six ans après l'obtention de mon diplôme, je n'ai même pas encore pu publier un simple essai.

Ma dernière chance d'obtenir l'attention d'une maison d'édition est arrivée. Grâce à une amie, j'ai pu obtenir un rendez-vous dans l'un des plus grands bureaux de Paris. Situé à quelques mètres de la Défense, je peux déjà m'imaginer l'ampleur et l'importance de cet endroit. Je savais que Lola avait des contacts partout, mais j'étais loin de m'imaginer que ce serait grâce à elle que je pourrais me rendre chez l'éditeur Smith, un des plus demandés du pays.

Lola est une escort de vingt-sept ans, un an de moins que moi. Nous nous sommes rencontrées au lycée et on s'est tout de suite bien entendues. Elle est drôle, joyeuse et très extravertie, même si sa vie n'a pas toujours été très facile. C'est le genre de personne qui sait garder le sourire et surtout, est l'une des uniques personnes à avoir cru en moi, et ce depuis mes désastreux débuts pleins d'erreurs orthographiques.

Un de ses clients travaille pour les éditions Smith, et grâce à l'éternel charme de Lola, il a été capable de trouver une petite place pour ma personne dans la très occupée matinée du directeur.

Je dois être sur place à neuf heures. J'ai encore quelques heures devant moi vu que je n'ai pas dormi, et puisque l'apparence est un atout, je décide de m'apprêter comme si ma vie en dépendait, ce qui est fortement le cas.

Je mets un tailleur bleu marine avec une chemise blanche et des escarpins noirs, malgré le temps pluvieux. J'espère juste ne pas glisser dans la rue. J'attache et détache mes cheveux une dizaine de fois, ne sachant pas comment les coiffer. Cela fait un bon moment que je veux aller chez le coiffeur, mais mes moyens ne me l'ont pas encore permis. Ma longue chevelure brune tombe raide jusqu'au bas de mon dos. J'ai toujours adoré les cheveux longs, mais arrivés à une certaine longueur, je les trouve difficiles à entretenir. Après plus de trente minutes passés devant le miroir de ma microscopique salle de bains, j'en ressort les cheveux tressés, maquillée et prête à tout pour faire publier mon brouillon.

J'avais passé plus de quinze heures d'affilé à le retravailler, je ne dors quasiment plus sur mon lit. Mes doigts sont gonflés et mes yeux secs après toutes ces heures passées devant l'écran. Je prie intérieurement pour que cette fois-ci je n'aie ne serait-ce que la chance d'être lue jusqu'à la fin.

Un pas plus près...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant