Chapitre 4 - Caleb

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Où l'a-t-on vu pour la dernière fois ?

Intraitable, la plume poursuivit sa course sur le parchemin sans que le Maître des Sphères ne daigne relever la tête à son arrivée soudaine et fracassante.

Pour changer, songea le jeune homme essoufflé d'avoir tant couru dans les couloirs impériaux, le cœur bouleversé d'une pensée qu'il refusait encore.

Aux yeux du jeune homme, les apparences avaient toujours été vitales. Au-delà de la paix que lui conférait son indifférence, paraître imperturbable lui avait toujours permis d'être protégé de ceux qui avaient guetté le moindre de ses faux-pas. En temps normal, Caleb aurait regretté de faire preuve d'autant de vulnérabilité devant l'homme qui avait la fâcheuse tendance à passer en tête de tous ses ennemis : pourtant, avoir l'air d'un idiot fini était présentement la dernière chose à laquelle il attachait de l'importance.

Tout allait s'arranger. Il devait y avoir une explication. Une solution. Quelque chose.

Le Gant de Stelaï se targuait suffisamment, souvent à raison, de toujours avoir un coup d'avance sur le commun des mortels, alors il était inenvisageable qu'aucun plan n'ait été prévu en amont pour limiter les conséquences de cette - Caleb inspira fort - attaque. Maveth saurait. Il le fallait. C'était d'une absolue nécessité.

Mais force est de constater que ce grand intriguant semblait pour l'heure beaucoup plus intéressé par l'écriture méticuleuse de sa foutue lettre que par le sort d'un précieux fils Encaraï, un constat qui en temps normal lui serait allé à merveille.

La mâchoire crispée, Caleb inspira profondément et attendit aussi longtemps qu'il le put, refoulant son désir irrésistible d'envoyer valser papiers et encrier à l'autre bout de la pièce. C'était un geste qu'il avait eu tant de fois sans jamais obtenir la moindre satisfaction, hormis peut-être celle de voir un instant une lueur de contrariété passer dans le regard vairon de cet homme : unique preuve que ce dernier pouvait ressentir autre chose que froideur et déception.

Aujourd'hui, il avait pourtant besoin de ce renseignement que seul Maveth détenait, et si le prix à payer pour le lui soutirer était de poireauter jusqu'à ce que celui-ci daigne se souvenir de sa présence, il le ferait. Eredan méritait bien qu'il contienne sa fureur.

Les minutes commencèrent alors à s'égrener en une attente interminable où chaque grattement de plume vint narguer un peu plus sa volonté, le forçant à enfoncer ses ongles dans ses paumes tremblantes pour éviter toute imprudence.

Il ne fit pourtant rien lorsque Maveth, une fois sa lettre terminée, prit grand soin de plier son maudit parchemin. Pourquoi perdait-il du temps à écrire ?

Il se tut également lorsque celui-ci chauffa, avec une lenteur calculée, un morceau de cire rouge. N'y avait-il rien de plus pressant ou de plus utile à faire ?

Un tic nerveux le traversa à peine lorsque le papier fut cacheté de leur sceau familial avant d'être confié à un serviteur. Par l'Abysse, Eredan était perdu.

Enfin, les yeux acérés se posèrent sur lui sans qu'il ne laisse paraître le soulagement de voir ce supplice enfin se terminer.

— La réponse est non.

Le visage de Caleb ne marqua aucune surprise.

Comme avec bien des choses, le Mentaliste n'attendait même pas qu'il formule une demande pour la lui refuser. Qu'aurait-il pu espérer d'autre de sa part ? Maveth n'était pas soudainement devenu un être prêt à accéder à la moindre de ses requêtes, quand bien même celle-ci consistait à aller porter secours au dernier membre de leur famille... Se comporter comme un père était après tout bien trop attendre de lui.

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