Chapitre 1 - Finn

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Un énorme bâillement perturba un instant la quiétude du bois endormi.

Bien vite, la nature reprit ses droits sur le malotru à moitié assoupi : les concerts d'oiseaux repartirent de plus belle sous la canopée matinale bordant les monts de Cimelierres.

Engourdi par la fatigue, le jeune homme à l'origine du bâillement se remit à siffloter le même refrain qu'il avait passé la plupart de la nuit à répéter inlassablement. Les notes aiguës se distinguaient à peine de la chorale au-dessus de sa tête, lui permettant de se fondre sans mal dans le feuillage. Une mélodie identique résonna quelques lieues plus loin, là où les hauts arbres cédaient le pas aux plateaux du Haut-Cíndahar.

Ce simple code dissimulé par le chant des oiseaux était la toute première chose que son père lui avait appris lorsque, jeune enfant plein de malice, Finn avait décidé qu'il serait le prochain garde-chasse des coteaux d'Irvall. Il se souvenait encore de la façon avec laquelle il avait déboulé comme à son habitude les marches boisées de leur demeure, un vieux rideau pour seule cape et un des chaudrons de sa mère en guise de couvre-chef. L'amusement se disputa à la gêne tandis qu'il se revoyait planté bien droit du haut de ses six ans et demi, les mains sur les hanches et une dent de devant en moins, déclarant à ses parents médusés que son père pouvait d'ores et déjà prendre sa retraite puisque lui, Finlay fils de Qasim, se chargerait désormais de protéger leur domaine ancestral.

Le fou-rire qui avait suivi aurait pu être entendu de l'autre côté du continent.

Le garçon d'antan avait habitué très tôt sa famille à son tempérament de casse-pieds. Que ce soit à grand renfort de bêtises et de farces, de bataille dans la boue ou bien encore de son goinfrage légendaire, ce qui avait sans doute toujours sauvé Finn des pires remontrances était la patience innée de Rhiannon et de son époux. Forcément, lorsqu'on était la dernière meneuse d'un fief subjugué par l'ennemi, on apprenait très certainement à supporter les frasques de son jeune enfant turbulent.

Un voile de chagrin vint recouvrir ses souvenirs chaleureux, poussant l'archer presque adulte à venir entrelacer ses doigts dans la chaîne qui pendait à son cou. L'éclat des anneaux jumeaux scintilla sur sa peau, héritage de son père né dans les dunes d'Arda.

Il était parfois douloureux de se rappeler du passé alors même qu'on déambulait dans un présent amer et froid, une nouvelle vie étrange où rires et jours simples avaient disparu dans les flammes.

Vis.

Cela lui avait semblé beaucoup plus simple lorsqu'il n'avait pas risqué chaque jour d'y rester.

Une nouvelle mélodie s'éleva plus loin, indiquant à Finn et aux rebelles de l'autre côté des gorges que leur cible s'engageait à présent en contrebas.

Il était temps.

A première vue, attaquer un convoi armé tandis que celui-ci serait occupé à remonter le long boyau sinueux du canal pouvait sembler adéquat. Plusieurs choses venaient cependant compliquer cette approche. Parmi elles, le fait que la poignée d'hommes faméliques à ses côtés s'opposerait au cortège le plus protégé de l'Hégémonie.

Chaque année, la colonne noire et or crachée par la capitale venait faucher la jeunesse du territoire Dahar, promettant monts et merveilles à ceux qui révéleraient une aptitude magique hors du commun. Un frisson parcourut l'échine de Finn à la pensée qu'il avait maintes fois assisté à la venue de ces soldats aux grandes épaulières sur la place de son propre village : les pleurs étouffés des enfants emportés à jamais pour l'honneur de l'Hégémonie... La nausée le prenait toujours lorsqu'il pensait aux contrées loyalistes accueillant avec joie cette procession macabre, fières de jeter en pâture leurs petits dans la gueule du Tyran.

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