| Chapitre 5 |

Depuis le début
                                    

Tout ce que j'ai fait, c'est prendre la vie de nombreux chasseurs. L'une après l'autre, dans une folie meurtrière et vengeresse. Ça ne m'a rien apporté, et certainement pas la paix intérieure que j'espérais comme un fou. Mais ça n'a rien d'étonnant puisque les Hayes sont toujours vivants, eux. Ils vont bien, n'ont aucune perte à déplorer et restent dans la puissance de leur nom, à faire trembler leurs ennemis jurés partout où le vent les mène. À briser, détruire, tout ce qu'ils touchent impunément.

À travers mes paupières closes, penché sur le lavabo, je perçois au loin les cris de ma meute natale. Leur souffrance, leur terreur de voir les Hayes. Je les entends encore hurler, fuir à toutes jambes, attaquer vainement pour protéger leur territoire et leur famille. Par-dessus tout, j'entends leurs hurlements, leurs supplications avant que ne vienne mon tour. Je les vois encore se débattre... puis la résignation dans leur regard quand elles ont compris qu'elles ne pouvaient rien faire contre eux. Subir et attendre la mort, c'est tout ce que nous pouvions faire. C'est tout ce que nous avons fait.

Mon torse s'affaisse lourdement et remonte avec difficulté. J'en suffoque soudainement et me redresse, foudroyé par un mal que je ne connais que trop bien. Mes paupières s'écarquillent, s'ouvrent en grand pour fuir le passé. Mon loup s'agite, en colère par ce rappel douloureux. Il griffe, me bouscule violemment de l'intérieur et me dévore par sa haine intransigeante. Les yeux rivés sur mes mains, je me fige de tout mon long devant le sang qui les macule jusqu'aux coudes. Je les referme aussitôt pour les rouvrir et ne voir que de l'eau.

Les battements sourds de mon cœur voilent ma vision alors que j'éteins le robinet. Mon regard s'élève sur le miroir moderne suspendu sur le mur. Il me renvoie ma propre image, une image que je peine à reconnaître. Celle d'un homme aux cheveux noirs, et non blonds. Celle d'un homme qui a perdu la couleur pétillante de ses iris, ne laissant plus qu'un vert terne et basique hanté par bien trop de souvenirs. Avec ça, il n'y a aucune chance que Red Moon me reconnaisse. Finalement, je n'ai peut-être aucune crainte à avoir.

Un sourire goguenard prend vie sur mes lèvres lorsque je baisse mon attention sur mon corps tremblotant. Au moins, je n'ai pas perdu ma splendide forme physique. Au contraire, même. Certes, je ne peux plus courir comme avant or, ça ne m'empêche pas de faire du sport. Si j'étais perdu dans la masse de travail sur le territoire de McCarthy, j'ai du temps à revendre désormais. Beaucoup, beaucoup de temps. Autant dire que la branlette, ça y va pour décompresser des exercices sportifs. Peut-être qu'une de plus, là, maintenant, ça m'aiderait.

Ma bête revient brusquement à la surface sans que je ne m'y attende, effaçant toute risette tandis que je grogne de douleur. Une main portée à ma poitrine, je me force à reprendre plusieurs inspirations et à expirer sur le même rythme sous les tremblements de mon être qui s'accentuent. Stupidement, oui, je n'ai aucun mal à imaginer Lincoln à mes côtés en train de compter derrière moi comme ce connard avait pris l'habitude de faire pour m'extirper des ténèbres. C'est tel que j'arrive presque à percevoir ses bras autour de moi, la chaleur de son corps contre le mien et les effluves de son parfum addictif.

- Continue comme ça, tu te débrouilles très bien...

Mes paupières entrouvertes se referment à la sensation de ses lèvres contre mon oreille, à l'entente de l'intonation rauque et profonde de sa voix masculine. Cette voix qui parsème ma peau de mille et un frissons, qui me trouble jusque dans mon sommeil.

J'inspire profondément suite à son indication, amenant son parfum à saturer mes sens, à m'apaiser.

- Expire en douceur.

Je frémis, percevant le souffle tiède de son haleine contre ma joue. La bouche ouverte d'un filet, j'obéis.

- Encore une fois.

Cœur Obscur [Tome 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant