C'est la faute des oignons

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La fin de la journée arrive très rapidement et je me retrouve au portail, à attendre Kuroo. Pourquoi je l'attends ? Telle est la question que je me pose. Même si cette journée a été dur, même si je sais qu'il ne m'aimera pas, je ne peux me résoudre à m'éloigner de lui. Je veux passer quelques derniers bons moments avec lui. J'ai beau savoir que ça ne sers à rien de m'attarder sur lui, je ne peux pas m'en empêcher.

Me voilà embarqué dans cet avion surprenant et déroutant qu'est l'amour. Et comme à mon habitude, je vais me laisser porter par le courant, jusqu'à voir où ça m'emmène.

Une main se pose sur mon épaule et je me retourne d'un coup. Un frisson me parcourt l'échine. Kuroo se tient devant moi, son éternel sourire aux lèvres. Je me force à garder un air impassible.

-Tu as passé une bonne journée ? Désolé, je n'ai pas trop pu te voir aujourd'hui.

Bah oui, tu étais avec ta petite amie. Mais je ne lui veux pas. Il a le droit de vivre sa vie. Ça me fait quand même plaisir qu'il s'en soit rendu compte. Nous rentrons tranquillement, mais je garde une distance de sécurité entre lui et moi. J'ai déjà assez de problèmes comme ça. Kuroo me raconte sa journée avec de grands gestes. Du coin de l'œil je l'observe, je commence à comprendre de mieux en mieux pourquoi les filles l'aiment. Il a un sourire contagieux, un peu enfantin, et les yeux brillants.

-Et toi ? Comment s'est passé ta journée ?

Mal, et par ta faute. Mais je ne vais pas répondre ça.

-Bien.

L'heure est venue de nous séparer. Je dit ça comme si il partait 3 ans en Europe alors qu'on est juste voisin. Quand je pousse la porte de la maison, ma mère est dans la cuisine et elle prépare le repas en chantonnant. Aussitôt que j'arrive, elle me demande :

-Mon cœur, tu peux m'aider pour le reps ? J'ai besoin de bras supplémentaires.

-Hmm...

Je crois que je n'ai pas trop le choix. Je m'assoie à table et elle me tend deux oignons. Oh non pas les oignons ! Ça fait pleurer ces trucs. Je commence malgré tout à les couper.

-Alors, comment s'est passé ta journée ?

-Bien.

-Tu as eu quoi aujourd'hui ?

-Japonais, maths, histoire-géo et physique-chimie.

-Kuroo va bien ?

-Oui.

Ma mère se tourne vers moi. Ses sourcils froncés indiquent qu'elle est un peu inquiète. Franchement, je ne comprends pas pourquoi. Tant qu'elle ne me demande pas si je m'entends toujours parfaitement avec lui, tout va bien.

-Tout se passe bien toujours bien avec lui ?

...

..........

Je sens à nouveau les larmes me monter aux yeux. Je tente de les retenir, j'ai un minimum de fierté quand même, mais une roule sur ma joue. Ma mère s'approche et passe un bras autour de la chaise.

-Tu pleures mon chéri ?

-C'est les oignons, murmure-je.

Ma mère sourit tendrement et me passe la main dans les cheveux. Je déteste quand elle fait ça.

-Si tu as des questions ou des doutes, tu peux m'en parler.

Puis elle retourne à ses carottes et moi à me oignons. Je me demande quelle serai sa réaction si je lui disais que je n'étais pas hétéro. Soit c'est plus, soi c'est moins, à voir. Autant tester, ce sera un premier pas. Si elle ne m'accepte pas, je peux toujours rêver pour Kuroo.

-Maman ?

-Oui ?

Je respire et murmure d'une toute petite voix :

-je crois que je ne suis pas hétéro...

-Je n'ai pas entendu, tu peux répéter Kenma ?

Une boule d'anxiété me noue le ventre. Cette fois d'une voix un peu plus assurée, je redis :

-Je crois que je ne suis pas hétéro.

Je ferme les yeux dans l'attente du verdict. Ce sont peut-être mes derniers moments dans cette maison.

-Qui t'as fait te rendre compte de ça ?

... Les mots mettent un temps avant de parvenir à mon cerveau. A mon avis, l'attraction terrestre n'aide pas. Les mots ont un poids, je vous jure. Un poids sur la balance de la Vie.

Je retourne finalement vers elle, les yeux grands ouverts. Ma mère est face à moi, un petit sourire sur le visage.

-Bah quoi ? Pour que tu me le dises, vu que c'est rare que tu me raconte grand-chose de ta vie, c'est que tu as quelqu'un en ligne de mire, j'ai tort ?

Tu as malheureusement raison, Maman. Je continue de la fixer sans un mot. Je m'attendais à tout sauf à ça comme réaction. J'ai vraiment une mère géniale. Elle se mêle de ma vie juste assez pour que je le sente à l'aise. Par contre, je ne vais certainement pas lui dire qui c'est. La connaissant, elle serait capable de me traîner jusque chez lui, et ce serait la seconde pire chose qu'il m'arriverait aujourd'hui. Je m'attendais à me faire gronder et à me faire amener chez un psychologue. Parce qu'au fond, je ne suis pas normal, il faut bien se l'avouer. Je suis une anomalie. Kuroo est normal, lui. Il aime les filles, lui. Croyez-moi, j'aurais préféré être comme lui. Tout aurais été plus simple. Au lieu de me demander : est-ce qu'il m'acceptera ; je me demanderais : est-ce qu'elle m'aime. J'en reviens donc à ma question de base : pourquoi moi ? Pourquoi a-t-il fallut que je tombe amoureux de mon meilleur ami ? Même avec un inconnu ç'aurait été plus simple. Pourquoi ? D'une voix neutre, je répond finalement :

-Je n'aime personne.

-Mais oui, mais oui, je te crois. Allez, j'ai plus besoin de toi, tu peux retourner à ta console.

Puisque j'ai le droit, je monte dans ma chambre. Je m'affale sur le lit, fauché par ma journée et par le poids de mes sentiments. Ils me pèsent sur les épaules comme la voûte du ciel sur celles d'Atlas. Mes yeux parcourent le plafond. Dans le coin à droite de ma commode est écris au feutre rouge : « Kuroo x Kenma = Infini ». C'était Kuroo qui avait écris ça une fois. Je me rappelle encore la tête de ma mère lorsqu'elle est rentrée et que Kuroo était debout sur ma commode, le feutre à la main, entrain d'écrire au plafond, la langue tirée sous la concentration. Ma mère s'était fâchée. Très fort. Elle avait tenté de l'effacer à l'éponge, à l'eau de javel, mais rien ne marchait. Par remarquable au premier coup d'œil, mais si on était attentif on pouvait la remarquer. Quand il avait fallu repeindre ma chambre, j'avais refusé. Pourquoi, je ne le sais pas. Mais en tous cas, elle était toujours là.


1125 mots! Un record.

Il était une fois -- KurookenWhere stories live. Discover now