Chapitre 10

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Cela faisait bien longtemps que je n'avais pas autant ri et je me demande si ce ne sont pas mes nerfs qui lâchent à leur manière.
410 se tient le bras en me foudroyant du regard.
— Je ne pensais pas qu'un corps aussi imposant que le tien pouvait craindre à ce point une aussi petite piqûre ! Tu te rends compte que tout le monde t'a entendu depuis la salle d'attente, 410 ?
Il ne répond pas et je descends les marches de l'hôtel de ville en essayant de contenir mon rire. Cette fois-ci, c'est moi qui guide mon ami vers la file la plus courte où nous récupérons nos cartons.
— Je te demande pardon, 410. Ne te vexe pas ! C'est juste que... je ne m'y attendais pas. Tu paraissais si confiant.
Je tente de faire profil bas et baisse la tête en signe de pardon, ce qui me permet de camoufler le sourire qui persiste au coin de mes lèvres.
— Tu l'as dit toi-même, je « paraissais »... En tout cas, je suis ravi de t'avoir fait rire. C'est rare et si j'en suis la raison, c'est un honneur !
Il feint une révérence et je ne peux cacher mon sourire cette fois-ci. Cartons en main, nous marchons le long des rues en direction de nos appartements. Quelques bâtiments seulement nous séparent.
— C'est ici que je te quitte, lui dis-je. Comme prévu, on se rejoint tous chez 899 dans une demi-heure ! C'est bon pour toi ?
— C'est OK ! À tout à l'heure !
Je grimpe les marches quatre à quatre, enjouée d'être enfin débarrassée de la réunion du conseil. La compagnie de 410 s'avère agréable. Je sais que je ne le connais que depuis peu et qu'il me reste encore beaucoup de choses à apprendre de lui, mais je suis heureuse de m'être fait un ami. J'arrive enfin dans mon studio. Cela fait à peine trois heures que je l'ai quitté, mais maintenant que je possède un endroit rien qu'à moi je peine à en sortir. En quittant l'orphelinat, je craignais la solitude. Aujourd'hui, je la chéris.
Je dépose rapidement dans la cuisine les quelques denrées qui nous ont été distribuées et me repose sur mon canapé en attendant le retour de 899. Seulement une semaine que nous séjournons ici et j'ai l'impression d'y vivre depuis des mois. Le temps passe à une allure fulgurante et j'y pense... demain, nous sommes lundi. Ma bonne humeur s'évanouit aussitôt lorsque réalise ce qui m'attend. La régente va m'appeler et je n'ai rien à lui rapporter. Se montrera-t-elle indulgente du fait du court délai qu'elle m'a laissé ?
Alors que l'idée de la décevoir me crée un désagréable nœud au ventre, j'entends des bruits de pas dans le couloir, me signalant que 899 est rentrée. Je n'attends pas et me précipite à sa rencontre, soulagée de pouvoir me changer les idées.
Nous sommes enfin au complet. 802 nous a rejoints presque aussitôt après mon arrivée et 410 est venu, accompagné de ses deux acolytes 409 et 408. Il est 23 heures et dehors, les rues commencent à être envahies par la deuxième génération. La musique résonne jusque dans nos murs et bizarrement ça ne nous dérange plus, nous nous y sommes habitués. Tous les six, nous échangeons sur notre journée et sur la réunion qui avait lieu quelques heures auparavant. Nous sommes unanimes. Malgré sa voix douce et confiante, M. Carter dégage une arrogance dérangeante. Peut-être ne sommes-nous pas objectifs du fait de notre lassitude de l'autorité, en tout cas, nous prenons plaisir à enfin pouvoir formuler nos critiques haut et fort, sans craindre d'enfreindre un quelconque règlement.
— Et si on sortait, nous aussi ? propose 802.
Hein ?!
— Quoi ? C'est vrai ! Ne me regardez pas comme ça ! s'amuse-t-elle. On est peut-être des enfants modèles et disciplinés, mais ça ne nous empêche pas de nous amuser !
— C'est vrai, tu as raison ! renchérit 899. Pourquoi pas nous aussi ?
410 se lève de sa chaise et intervient :
— Je ne sais pas. On ne sera sûrement pas les bienvenus. Regardez-nous.
Ses deux amis l'observent avec bienveillance et l'un d'eux l'interrompt.
— 410, ne sois pas si craintif. Essayons au moins une fois... Nous ne pouvons pas passer nos vies cloîtrés dans nos appartements.
Il ne répond pas et semble étudier la question.
Je remarque au même moment le regard insistant de 899 qui cherche mon approbation et mon appui. Elle sait que mon opinion influera peut-être sur celle de 410 et je devine qu'elle attend de moi non pas mon avis, mais plutôt le sien. Ce qu'elle ignore, c'est que cette proposition me soulagerait presque. Même si je rêverais rester ici, au calme, 802, 899, 408 et 409 m'offrent l'occasion rêvée de poursuivre mes investigations. Grâce à eux, je pourrais peut-être rendre un rapport concluant à la régente dès demain. Alors je réponds au regard de 899 par un sourire, avant de prendre enfin la parole.
— Moi je suis pour. Allons au moins faire un tour...
Aussitôt, je comprends que 410 capitule et il finit par hausser les épaules, l'air de dire « comme vous voulez ».
— Il ne sait pas te dire non... me lance discrètement 899, tout en me donnant un coup de coude.

900 : La réinsertion (Tome 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant