0.2 - Ambre

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Si Dieu existe, sa meilleure blague est d'avoir ajouté des calories dans l'alcool.

Le but n'est pas d'être belle. Enfin, au début, ça l'est, parce-que « mince » est tellement simple à faire disparaître dans tous ces critères de beauté qui enivrent notre époque. Mais quand elle se demande si elle peut faire un peu de cardio en silence, son cœur ne se concentre pas sur la beauté, réalise-t-elle, mais plutôt sur la destruction.

Ambre regarde les fausses plantes sur la table, et remarque que son chat a mâché un pétale de l'une de ses orchidées ; et sa première pensée est qu'elle n'est plus aussi belle qu'avant, parce-qu'elle n'est plus parfaite.

Parfaite.

Ce mot tangue dans son esprit comme un navire dans une tempête sans fin. Mais le navire refuse de couler, parce-qu'elle se rend compte qu'elle est comme cette orchidée : imparfaite ; et cela la hante lorsqu'elle observe son reflet dans le miroir, qu'elle voit cette petite poitrine, ce ventre un peu trop rond, ces cuisses un peu trop épaisses.

Il est à peine dix-huit heures. L'averse ayant commencé à s'abattre sur la ville quelques heures plus tôt n'a toujours pas pris fin. Ambre a déjà absorbé six shots et vingt millions de calories et elle se sent mal ; elle a envie de faire de l'exercice pour compenser ce qu'elle a pu ingérer dans la journée. Elle essaie de manger le moins possible, parce-qu'elle a enfin commencé à perdre du poids et elle ne veut pas en reprendre, pas alors qu'elle commence à voir quelques petits changements dans le miroir. Même si elle a quand même envie de vomir en se voyant.

Cela lui fait peur ; mais elle a juste envie d'être vide.

Ils sont seuls, assis dans son salon. Il est tard, ses parents sont sortis, et peut-être que boire avant de travailler n'était pas une très bonne idée. Il lui est impossible de se concentrer sur la dissertation à rendre dans deux semaines. « Je me sens grosse », a-t-elle envie de lui dire alors qu'elle observe ses cuisses s'élargir sous son poids ; et son estomac se noue à chaque inspiration qu'elle prend.

Elle a envie de lui dire qu'elle se trouve horrible, comme si elle n'était faite que de couches jaunâtres sous cette peau trop pâle. Elle a l'impression d'avoir depuis trop longtemps cessé d'exister au-delà des assiettes trop pleines et du cauchemar de calories qui s'entassent sur ses côtes. Mais au lieu de ça, elle lui demande : « m'aimerais-tu si je prenais du poids ? »

Les yeux de son frère restent collés sur ses notes de musique alors qu'il lui répond, sans même prendre le temps de réfléchir : « bien sûr ».

Mais en réalité, ce n'est pas à lui qu'elle demande cela ; mais à elle-même, parce-que chaque kilo qu'elle voit sur la balance l'envoie dans ce puits de sensations où elle a l'impression de se noyer dans ses propres pensées, sombres et pleines de paroles blessantes écrites sur sa peau trop pâle qui lui disent « tu le mérites ». Aussi dit-elle, simplement : « suis-je mince ? »

Il lui jette un regard, et elle se demande s'il voit dans ses yeux qu'elle essaie d'être calme à propos du fait qu'elle se meurt en silence.


J'ai froid. Parfois, j'ai comme l'impression d'être déjà sur une table d'autopsie.

Je suis désolée que toutes les petites choses me fassent frémir comme si je n'étais qu'une pauvre fleur perdue dans une tornade. Je sais que je ne cesse de me promettre que je vais me reprendre en main, mais je ne parviens jamais à imaginer ce que cela fait de se réveiller un jour sans avoir de nouvelle cicatrice à regarder. Ce n'est pas de leur faute. C'est moi, le problème, dans cette histoire.

Je suis désolée.

Je ne sais juste pas comment m'arrêter.


Publier.

Ambre ferme son ordinateur, un soupir las traversant ses lèvres. Son esprit est empli de nouveaux mots qu'elle brûle d'écrire. Mais il est tard. Une heure trente du matin, lui indique son téléphone sur sa table de nuit. Elle ignore les trop nombreuses notifications qui s'entassent sur l'écran d'accueil de celui-ci. Un autre insomniaque a déjà aimé sa publication. Tumblr est rempli de gens comme elle ; elle a cessé de compter le nombre de comptes de personnes brisées qu'elle s'est mise à suivre sur un coup de tête, cachée derrière un pseudo ridicule, histoire de se sentir moins seule.

Toutes ces pensées qui dansent dans sa tête la hantent. Elle a envie de dormir, mais cela fait déjà trois fois qu'elle a essayé de fermer l'œil ce soir ; et personne n'est venu la porter dans les bras de Morphée. Alors elle veille, comme toujours depuis... Depuis une durée indéterminée, car le temps n'a depuis longtemps plus de signification pour elle.

Elle pose son ordinateur à même le sol, trop épuisée pour trouver la force d'aller le mettre sur son bureau. Elle s'allonge sous les couvertures ; elle ne peut s'empêcher de trembler comme une feuille torturée par le vent automnal. Elle ferme les yeux et attend une minute, puis cinq, puis dix, et le sommeil ne vient toujours pas. Dans un élan de rage, elle attrape son téléphone et ses écouteurs, se lève avec difficulté, et se met à danser au rythme d'une musique trouvée au hasard sur YouTube. Son tapis absorbe les sons, et elle évite de trop sauter pour ne pas réveiller sa famille.

Elle danse jusqu'à-ce-que ses forces l'abandonnent complètement. Elle n'a pas mangé depuis ce matin – et encore, ce n'était qu'un pauvre pain au lait -, et son corps commence à le lui faire sentir. Lorsqu'elle s'écroule sur son lit, essoufflée, elle se sent fière ; elle a fait du sport, dépensé des calories. C'est exactement ce dont elle a besoin. Ce matin, dès le réveil, elle s'est pesée ; sa balance indiquait 53,4 kg. C'est trop, se dit-elle alors que cette image lui revient en mémoire. Il faut qu'elle perde du poids.

Elle a commencé à sauter des repas. Notamment celui de midi, au lycée, où c'est plus simple de le faire. Elle fait comme si elle mangeait, et elle parle, elle parle, fait de grands gestes et rit bien fort pour détourner l'attention. Elle joue avec sa nourriture, prend une bouchée écoeurante, mâche et avale avec difficulté ; puis elle prétend ne plus avoir faim et débarrasse. C'est si simple, et, pour le moment, personne ne lui a fait de réflexion. Ils semblent n'y voir que du feu. Le soir, elle prétend avoir trop mangé à midi et saute le repas.

C'est si simple.

Non, cela ne l'est pas.

Elle est fatiguée.

Les journées sont de plus en plus longues. Et pourtant, l'hiver arrive. Elle aimerait tellement pouvoir manier le temps pour les raccourcir ; faire en sorte que chaque instant passé au lycée dure une seconde, pour pouvoir rentrer chez elle plus rapidement et faire ses exercices seule dans sa chambre, pour ensuite aller se coucher. Mais elle se doit de subir chaque instant qui passe. Elle n'est pas heureuse, réalise-t-elle, et son cœur se serre.

Le sera-t-elle réellement un jour ?


***

Nous voici donc à la fin de l'introduction. Cher Lecteur, j'espère qu'elle t'a plu, et que tu es désormais pris par l'envie de continuer ta lecture. Mais avant cela, pourrais-tu prendre le temps de me laisser une étoile, voire même un petit commentaire ? Il est important pour un auteur de savoir ce que ses lecteurs pensent de ses histoires ; de plus, un avis me ferait énormément plaisir, aussi simple soit-il.

Sur ce, je te souhaite une excellente continuation, et espère te retrouver sur la suite de cette histoire.

Solo

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