Chapitre 1

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Trois semaines depuis le retour de Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-prénom...

— Salut Sandrine, je passe te chercher pour aller à l'amphi ?
— Amphi ? Quel amphi ?
— Celui sur les risques liés aux OPEX. Apparemment, c'est obligatoire et il y aura plusieurs intervenants. Toi, tu n'as pas écouté les ordres ce matin !
— Comment voulais-tu que je reste concentrée ? J'ai perdu le fil à partir de l'instant où ils ont nommé ces fichus orateurs. Ça fait une semaine que je rase les murs du régiment. Il fallait bien que cela arrive. Peut-être que le revoir dans ces conditions sera moins dur.
— Aaaah ça, on ne pourra pas le rater indéfiniment, ce gros con, finit Amélia en murmurant l'insulte.
— Mel !
— Quoi, j'ai prononcé gromelot, ça sonne comme gros con, c'est tout !
— Irrécupérable. J'ai des copines irrécupérables. Tu sais que je t'aime, toi ?
— Je sais. Tu t'arrangeras avec Yann pour avoir ma garde un week-end sur deux ! sourit la rouquine.

À l'horaire dit, Trois compagnes supplémentaires se joignirent au duo. Elles se dirigèrent d'un pas assuré vers la salle commune où se tenaient les séances d'instruction régimentaires.
L'amphithéâtre déjà bondé lorsqu'elles arrivèrent, résonnait de joyeuses discussions. Jouant des coudes afin de se faufiler entre les grappes de militaires qui s'interpellaient d'un bout à l'autre de la salle, les jeunes femmes trouvèrent des places dans les premiers rangs, celles dont personne ne voulait.

— Tiens comme c'est bizarre. Truc nous a vues, s'exclama Amélia en désignant la scène du menton.

Les regards convergèrent vers le petit groupe d'hommes finissant les réglages sur grand écran. L'adjudant-chef rassemblait quelques pages sur le pupitre en balayant le public de son regard perçant. Il s'arrêta un instant sur Sandrine qui se rencogna dans son siège. Il hocha la tête en guise de salut, auquel elle refusa de répondre.

— Il ne manque pas de culot ! grinça-t-elle.
Ses amies consentirent vivement.

La séance d'information ne s'éternisa pas. Campier fut le premier à prendre la parole. Il s'exprimait sobrement et clairement, indifférent à toute forme de trac, comme à son habitude. On sentait son énergie à travers l'exposé qu'il présentait. Les différents types de conflits rencontrés par l'armée française en opération extérieure intéressaient beaucoup de monde. Redoutablement efficace, il empêcha même certaines siestes impromptues en modulant ses intonations.
D'autres intervenants se succédèrent avec la même précision, laissant un public conquis par le sujet évoqué. Moins d'une heure plus tard, le chef de corps sonnait la fin de l'amphi en remerciant les instructeurs.
Les filles se dirigeaient tranquillement vers la sortie en revenant sur l'intérêt des interventions, lorsque Sandrine sentit une main agripper son bras.

— Tu as quelques minutes ?
— Heu... hé bien...

Amélia afficha un air dubitatif, avant de suivre ses camarades, faisant promettre à Sandrine de l'appeler, « juste pour vérifier ».
Joffrey lui montra son majeur. Se dispensant de tout respect militaire envers un supérieur, le sergent-chef lui retourna un tranquille « va mourir dans une poubelle ».
Différences irréconciliables entre ces deux-là, soupira Sandrine.

Peu à peu, la salle se vida. Les collègues de Joffrey rangèrent le matériel audiovisuel puis finirent par les quitter. Le silence tomba dans l'amphithéâtre, rendant la jeune femme un peu nerveuse. Le revoir l'avait chamboulée. Le militaire dégageait toujours un magnétisme écrasant. Et elle y était toujours aussi sensible, à son grand drame.

— Tu n'as pas répondu.
— Tu ne m'as pas posé de question !
— C'est moi ou tu fais exprès de ne pas comprendre ?
— Hey ! Si tu m'as fait rester pour ça, je m'en vais !
— Tu sais parfaitement pourquoi je t'ai demandé de rester.
— Et si je n'ai pas envie de savoir ce que tu veux me dire ?
Joffrey se rapprocha, la dominant à la fois par sa stature et par la force qui émanait de lui.
— Tu en penses quoi ? sourit-il en envahissant son espace.
— Tu es trop près. Merde, tu es vraiment trop près, je peux sentir ton odeur, murmura-t-elle en rosissant de honte.

Un éclair de joie traversa le regard intimidant qui ne la lâchait plus.

— Tu m'as manqué. Et je crève d'envie de ta bouche.

Soit elle avait mal dosé son café matinal, soit l'homme n'avait jamais entendu parler de harcèlement sexuel ou de consentement. Il se montrait trop direct, quelque chose clochait.
Trois ans de séparation et voilà qu'il la draguait comme si aucun fossé ne les avait séparés.
Elle commença à reculer.
Décelant son mouvement, il avança jusqu'à ce qu'elle se retrouvât bloquée par la première rangée de fauteuils et finît par tomber dans l'un d'entre eux. Agrippant fermement les accoudoirs pour l'empêcher de s'échapper, il se pencha, captivé par les lèvres frémissantes, persuadé qu'elles l'appelaient.

La gifle claqua comme un coup de fouet, rompant le silence de l'amphithéâtre.
Sandrine en attendit la réplique, priant pour qu'il ne lui brise pas les os du visage au passage. Il n'avait jamais levé la main sur elle, mais la violence avec laquelle leur rupture était intervenue à l'époque l'avait traumatisée.

Le regard assombri par l'orage, l'homme passa à l'attaque, fondant sur sa bouche comme un affamé. D'abord brutal, son baiser se mua en une étreinte exigeante plus sensuelle. La jeune femme se débattit de plus en plus mollement à mesure que la langue de Campier fouillait et s'appropriait sa bouche.
Il tomba à genoux et l'entraîna avec lui, la pressant contre son corps bouillant comme s'il essayait de se fondre en elle. Le baiser se teinta de volupté quand il dévia sur sa mâchoire avant de descendre dans son cou. Lorsque ses lèvres atteignirent le col de son tee-shirt aux couleurs camouflées, Sandrine ressentit un électrochoc. Prenant soudain conscience de leurs actes, elle s'arracha des lèvres de son assaillant.
L'ombre d'un sourire se dessina sur la bouche qu'elle avait tant aimé embrasser. Son poing partit directement dans la mâchoire virile. L'homme bascula vers l'arrière en grognant, alors qu'elle sautait sur ses pieds pour détaler.
— Tu m'as goûté, toi aussi. Tu y reviendras !

Essoufflée et ivre de colère, surtout contre elle-même, Sandrine traversa le régiment au pas de charge. Enfin réfugiée dans le vestiaire de son bureau, elle laissa libre cours à sa rage. Le pire, c'était de reconnaître qu'il n'avait pas tort. Ce fou furieux avait déclenché une tempête, une de celles qui ravageaient de frissons brûlants ses terminaisons nerveuses, jusqu'à la déconnecter de toute raison.
Si elle n'avait eu ce sursaut d'amour-propre, Dieu seul savait où ce diable d'homme les aurait entraînés.

Cœur d'homme, âme de soldat 5 : Là où tout a commencéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant