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— Comment tu te sens ? demande prudemment Megumi à Kishi qui n'a pas ouvert la bouche depuis qu'ils sont sortis du gymnase

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— Comment tu te sens ? demande prudemment Megumi à Kishi qui n'a pas ouvert la bouche depuis qu'ils sont sortis du gymnase.

Kishi ne sautille pas. Elle traîne des pieds comme la mer qui écume le sable à marée basse. Elle lui coule un regard mélancolique et un petit sourire triste. La révélation de son ancienne professeure de danse semble lui avoir ôté toute son énergie, toute envie de sourire.

— Ça va. Mais je ne m'attendais pas à ça.

Megumi hoche la tête. Ils arrivent au niveau du pont, Kishi s'arrête soudainement. Elle s'accoude sur la rambarde à l'endroit où elle se tenait le jour du typhon. Elle observe le vent, pensive. Megumi la rejoint sans un mot et regarde la brise marine avec elle.

— C'est ici que je suis morte.

— Comment tu le sais ?

— Je le sens, sans doute.

Megumi hoche la tête mais ne rajoute rien. Le vent lui entortille les cheveux, lui rafraîchit le visage et fait onduler ses habits. À côté, Kishi ne bouge pas d'un cran, immunisée contre le souffle des cieux. Elle se penche un peu pour regarder en bas et grimace. La mer est loin, les vagues s'entrechoquent contre les pieds du pont. C'est une chute mortelle, à coup sûr.

— Ça doit être ça, le regret qui me retient ici. Le problème, c'est que je ne vois pas ce que je pourrais faire pour ne pas regretter.

Megumi ne répond pas non plus. Parce que lui aussi, il n'a aucune idée de la marche à suivre. Que peut bien faire une suicidée pour ne plus avoir de regret ? Il y a bien une question qu'il aimerait poser mais il ne sait pas trop si c'est le bon moment pour la partager à Kishi, il se demande s'il ne vaudrait pas mieux attendre encore, le temps qu'elle se remettre de ses émotions.

Kishi n'a pas l'air aussi bouleversé que tout à l'heure. Alors il se lance et tant pis s'il passe encore pour quelqu'un d'inconvenant.

— Tu sais pourquoi tu t'es suicidée ?

Le vent souffle, porteur de la réponse silencieuse de Kishi. Elle regarde dans le vague, Megumi se demande un instant si elle a entendu sa question. Finalement, elle lève les yeux vers lui et hausse les épaules.

— On n'a pas forcément besoin de raison rationnelle pour se suicider. Parfois, tout va bien dans notre vie, mais le problème vient du cœur et finit par infecter la tête. Et puis sans que tu t'en rendes compte, tu atterris en haut d'un pont. L'océan est à tes pieds, tu te dis simplement qu'il serait agréable de le rejoindre et ne plus penser à rien, en espérant noyer les ténèbres qui t'attirent sous toute cette eau salée.

Megumi ne trouve rien à répondre, il a l'impression que tout commentaire de sa part pourrait être malvenu. Kishi écoute un instant le bruit des flots qui s'échouent sur la plage avant de reprendre la parole.

— Je vais avoir besoin de temps pour réfléchir.

— Je comprends.

— Attends-moi, d'accord ?

Kishi le regarde droit dans les yeux, Megumi sent les battements de son cœur s'accélérer. Il ne sait pas trop ce qu'elle entend par là, il a l'impression d'être face à sa copine qui aurait redoublé sa terminale et qui lui demanderait de l'attendre tandis que lui passait aux études supérieures. Mais il ne peut faire autrement que de hocher la tête parce que Kishi est probablement la seule fille qu'il pourrait attendre toute sa vie.

Elle sourit, Megumi ne pensait pas que ce simple geste pourrait lui faire autant plaisir. Sans un mot de plus, Kishi grimpe sur la rambarde et s'en va. Elle se confond avec la brise et le ciel, Megumi la regarde s'éloigner l'air mélancolique. Il espère qu'il ne va pas l'attendre trop longtemps, parce qu'elle lui manque déjà.

Il rentre chez lui le cœur lourd. Son parrain n'est pas encore rentré, alors il va dans sa chambre et s'allonge sur son lit en étoile de mer. Il fixe son plafond blanc avec intensité, comme s'il souhaitait l'atteindre. Lui aussi, il a besoin de réfléchir à tout ça.

Il repense à sa rencontre avec Kishi, le jour du typhon. Il repense à leur seconde rencontre, lorsqu'elle lui a soufflé quelques mots tandis qu'il travaillait ses maths. Il repense à la décision qu'il a prise, celle de lui obéir et de passer par le temple pour échanger plus amplement avec elle. Il repense à ses aveux, ses explications, Shiro et Kuro qui écoutent sans aboyer. Il repense aux frémissements de sa chaise lorsqu'il faisait des recherches sur les ordinateurs du lycée. Il repense à Yuji, à son histoire et à la réaction de Kishi. Et puis il repense au cours de danse et à son bras duquel elle s'est détachée.

Megumi détourne son attention du plafond pour regarder son bras droit. Il a comme une impression de manque depuis que Kishi n'y est plus agrippée. Il n'aurait jamais cru qu'il pourrait s'attacher à quelqu'un en si peu de temps. Il connaît Kishi depuis une semaine, pourtant, depuis qu'elle lui a demandé de l'attendre, c'est comme si il avait perdu un bout de lui.

— Megumi, je suis rentré !

Il ne sait pas combien de temps s'est écoulé depuis qu'il s'est allongé là pour fixer son plafond. Toujours est-il que son parrain est de retour alors il se relève en poussant un grognement et le rejoint dans la cuisine.

— Qu'est-ce que c'est que ce truc ?

Megumi grimace, il ne sait pas si c'est à cause du grand sourire idiot qu'arbore Satoru ou à cause de l'espèce de chouette au masque blanc qui a confondu l'épaule de son parrain avec un perchoir. Il la dévisage, il a l'impression qu'elle lui est familière.

— Je te présente Nue ! C'est un esprit que je connais depuis longtemps. Il n'arrive plus à voler alors je lui ai dit que je l'aiderais.

— Sans rien en échange ?

— Eh, tu me prends pour qui ?

Megumi lui jette un regard désabusé. Satoru éclate d'un rire tonitruant avant de lui ébouriffer les cheveux.

— Tu me si connais bien ! s'exclame Satoru en le prenant dans ses bras tandis que Megumi essaye de le repousser. Je lui ai dis que si je l'aidais, alors il me devrait un vol. Tu te rends compte ?! Quand il saura à nouveau voler, il pourra me transporter avec ses griffes au-dessus de la ville !

Megumi est heureux de percevoir les esprits, parce que c'est grâce à ça qu'il a pu faire la connaissance de Kishi. Mais il n'est pas sûr que voir tous les esprits soit une bonne chose. Déjà qu'il ne pouvait pas qualifier son quotidien de calme à cause de son parrain loufoque, si en plus les esprits participaient à ses bizarreries, il pouvait définitivement dire adieu à un quotidien normal.

Les cris du typhonWhere stories live. Discover now