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— Qu'est-ce que tu fais ?! Descends de là et rentre chez toi, c'est dangereux !

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— Qu'est-ce que tu fais ?! Descends de là et rentre chez toi, c'est dangereux !

Mais son avertissement se perd dans les tumultes de l'orage. Sa voix ne fait tout simplement pas le poids, il se demande d'où vient la puissance des cris de cette fille qui se fait entendre malgré la fureur du typhon.

C'est étrange mais Megumi a l'impression qu'elle ne fait qu'un avec le ciel et l'océan, comme si sa rage était à l'origine du cyclone. Son corps lui semble frêle, fragile comme une fleur à peine éclose, et pourtant, elle se tient debout sur le rebord du pont, sans jamais fléchir. Le vent la heurte de plein fouet, mais elle ne paraît même pas le sentir. La pluie ne la touche pas, comme si elle lui passait au travers.

À cet instant, cette fille a l'air plus forte que n'importe quel être humain. Elle semble invincible, intouchable, inébranlable. Megumi tend la main vers elle, inconsciemment, et il a l'impression que même s'il était à côté d'elle, il ne pourrait pas la toucher. Si même les forces de la nature qui se déchaîne ne la font pas chavirer, alors comment pourrait-il l'atteindre, lui qui sent son cœur flancher à la seule vision de la mer ?

Un éclair tranche le ciel au dessus de la ville sous la tempête, Megumi a l'impression qu'il lui arrive la même chose dans sa poitrine. Le coup de foudre ne l'a pas épargné.

Il serre les poings, car même si cette fille n'a pas l'air d'être atteinte par la menace tempétueuse qui règne au dessus de leurs têtes, il est dangereux de rester là plus longtemps. Le danger est proche, les vagues sous leurs pieds sont de plus en plus violentes et ne devraient pas tarder à atteindre le pont. Si elle reste là, elle va se faire avaler.

Megumi s'élance vers elle. Il ne crie pas, parce qu'il n'a pas sa force. Il est gelé jusqu'aux os, il se demande si cette fille est vraiment humaine pour ne pas fléchir malgré le typhon qui lui hurle au visage qu'il va la dévorer toute crue si elle ne se dépêche pas d'aller s'abriter. Il se sent mourir sous son ciré jaune tandis que cette fille ne tremble même pas, à peine couverte par son léger uniforme de lycéenne.

— Descends de là, le typhon approche !

Il est arrivé à sa hauteur, à un mètre de son dos. Il la voit sursauter et se retourner vers lui. Son visage est parsemé de quelques gouttes d'eau, Megumi se demande s'il s'agit de l'œuvre de la pluie ou de celle de ses yeux. Ses courts cheveux noirs virevoltent légèrement, comme si le vent ne faisait que la contourner.

Ses grands yeux bleus se posent sur lui, Megumi en a le souffle coupé. L'océan enragé se reflète dans ses orbes tantôt saphir tantôt grises, comme si la tempête soufflait non seulement autour d'eux mais également dans ses pupilles humides.
Ses cris cessent mais elle ne descend pas pour autant.

— C'est la première fois qu'on me voit.

Megumi ne comprend pas sa réponse. Il l'a bien entendu, mais il ne parvient pas à en saisir le sens. Cependant, il fronce les sourcils en remarquant la blancheur de sa peau, aussi translucide qu'une aile de papillon. Elle est si pâle qu'il a l'impression qu'il pourrait voir à travers elle.

— Ne t'inquiète pas pour moi, je ne crains rien. Toi par contre, tu devrais rentrer chez toi. Je ne pourrais pas te protéger si la mer parvient jusqu'ici.

Megumi ne comprend rien à ce qu'elle raconte. Il se sent frissonner, et il ne pense pas que ce soit à cause de la pluie ou du vent. Cet air frais qu'il ressent et qui l'enveloppe comme le parfum des cerisiers au printemps provient de cette fille, légère comme un nuage, transparente comme du verre brisée.

Megumi en est maintenant convaincu : s'il tendait la main, il ne pourrait pas la toucher. Cette fille incarne la fureur de l'océan et la rage de la tempête. Cette fille est le typhon en personne. Voilà pourquoi ses cris ressemblent tant au chant du cyclone et se mêlent si facilement aux bruits de la nature en furie. Il comprend désormais pourquoi cette fille aux apparences mystiques lui paraît inatteignable.

Elle n'est pas humaine.

— File.

Son murmure se glisse jusqu'à son oreille, porté par le vent qui s'engouffre sous sa capuche. Ses jambes se mettent à agir d'elles-mêmes, Megumi n'a pas le temps de l'interroger plus en profondeur avant de se mettre à courir. Son cœur bat la chamade, et lorsqu'il se retourne, la fille a disparue.

Il a comme une familière impression de déjà-vu. Il se passe la même chose lorsqu'il vient rendre visite à Shiro et Kuro dans le temple. Lorsqu'il les laisse et qu'il s'en va, il entend comme le bruit d'une goutte d'eau qui tombe pour rejoindre un lac endormi, un son si pur et cristallin qu'il lui semble venu d'ailleurs. Et lorsqu'il se retourne, les chiens ne sont plus là.

Pourtant, malgré l'absence de cette fille sur la rambarde du pont, il est persuadé de continuer à percevoir ses cris mêlés au souffle du vent, ses cris qui le poussent à courir plus vite sans s'arrêter avant d'être rentré chez lui. Ses baskets sont trempées et son sac gorgé de pluie pèse lourd sur ses épaules, mais ses enjambées ne faiblissent pas. Il accélère toujours plus vite jusqu'à parvenir à son pavillon.

Le souffle erratique, il pousse le portillon et ouvre la porte de chez lui. Il se déchausse, vide l'eau de ses chaussures par la fenêtre et se dirige directement dans sa chambre pour se débarrasser de son uniforme. Il jette un coup d'oeil par la fenêtre où s'échoue la pluie qui produit un clapotis régulier et repense à cette fille qu'il a croisée.

Un rêve, voilà dans quoi Megumi a l'impression de nager. La matérialisation de cet être en uniforme scolaire, perchée sur la rambarde de ce pont, ne pouvait être réelle. Et pourtant, Megumi sait qu'il n'a rien imaginé. Son corps est encore témoin de toutes les émotions que leur rencontre lui a procurée.

Son coeur bat vite, ses poils sont dressés sur son épiderme, son souffle est court. Et surtout, quand il tend l'oreille, il perçoit encore les appels de désespoir de cette fille aussi attirante et angoissante que la houle de l'océan.

Les cris du typhonWhere stories live. Discover now