Le calme avant la tempête

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Solenn se réveilla et crut immédiatement qu'elle avait rêvé. En regardant autour d'elle, elle sut qu'il ne s'agissait pas du fruit de son imagination, mais que tout ce qu'elle avait vécu était vrai. Mais si on lui avait dit un mois plus tôt qu'elle découvrirait que son père était un elfe qui vivait dans une autre dimension et qu'elle-même allait acquérir des pouvoirs magiques, elle sserait simplement dit qu'on se moquait d'elle pour la énième fois de la journée. Pourtant, si on lui avait appris aujourd'hui que toute cette histoire n'avait jamais existé, et qu'elle devait retournée à sa vie de lycéenne tourmentée, elle aurait éclaté en sanglots. On lui avait offert une vie dans laquelle elle pouvait se sentir elle-même, et peut-être aussi, heureuse.

Enaël se trouvait à son chevet, comme d'habitude, toujours aussi serviable et dévoué.

— Dieu merci, tu es en vie, souffla-t-elle.

La jeune fille n'arrivait pas à oublier les images morbides de la veille et n'y parviendrait sans doute jamais.

— Comment te sens-tu ? demanda-t-il.

En observant son bras, Solenn vit qu'il s'était guéri de lui-même. Sans doute une conséquence de son Don. Elle éluda la question.

— Ton père veut te faire savoir que tes cours continuent demain. Kathleen te laisse un jour de repos, aujourd'hui.

— Et il ne peut pas venir me le dire lui-même ?

— Non, c'est moi qui voulais te voir, murmura l'elfe.

Solenn le regarda d'un air interloqué.

— Qu'est-ce que tu viens de dire ?

— Laisse tomber, soupira-t-il. Il m'a également demandé de te faire découvrir le reste de notre village. Au programme : la fontaine de querza, la forêt et la bibliothèque.

* * *

— Ce que tu vois là, expliqua Enaël, est notre principal pour ne pas dire notre unique moyen de nutrition : le querza. Il en est de même pour les autres dimensions.

Ils se trouvaient devant une fontaine gigantesque en pierre de laquelle coulait en cascade une matière à la texture semblable à du sirop. Au premier abord, elle paraissait translucide mais en changeant de point de vue, la couleur variait légèrement et devenait bleutée ou vert clair. En dessous, des bacs recueillaient le « querza ».

— Tu peux goûter si tu veux, proposa gentiment Enaël.

— Avec plaisir.

L'elfe prit le liquide dans ses mains et le porta à sa bouche. Solenn l'imita. Curieusement, le querza ne se colla pas à ses doigts ni ne s'échappa trop rapidement. Malgré la texture étrange, elle goûta et grimaça de surprise, mais ce n'était en réalité pas mauvais. Le querza était à la fois acide et amer, doux et corsé, frais et gourmand, sucré et salé. Elle goûta encore, surprise.

— J'espère que ça te plaît parce qu'il n'y a rien d'autre à manger ici à part le lambas, mais nous en faisons de moins en moins, expliqua-t-il. Le querza est extrêmement pratique. Une tasse correspond à l'apport journalier dont a besoin un elfe. Donc pas besoin de perdre de temps à manger.

Puis il emmena Solenn devant une vieille bibliothèque dont la façade était à moitié mangée par le lierre. Lorsqu'ils entrèrent, Solenn eut le souffle coupé. Il s'agissait d'un bâtiment de trois étages, sans aucune cloison. On voyait les elfes déambuler à tous les paliers. Des escaliers grimpaient sur les côtés et tout autour s'étalaient des bibliothèques croulant sous les livres. C'était un véritable bijou architectural. Il y régnait l'odeur des vieux bouquins et du bois et Solenn voulut immédiatement y passer son après-midi. Elle passa ses doigts sur les tranches des livres à sa portée, mais la plupart étaient très poussiéreux. Son doigt, quand elle le retira, était gris de crasse.

— Si je t'ai amenée ici, c'est parce que la plupart de ces livres sont écrits en Sindarin, la langue ancienne des elfes. Nous ne l'avons jamais parlée puisque nous avons été créés par un humain, mais certains d'entre nous sont capables de la comprendre.

— Et toi ?

Il secoua la tête.

— Mais peut-être que c'est ton cas. Choisis un livre.

Solenn en prit un, qui l'attirait particulièrement. Elle l'ouvrit délicatement et décolla les pages parcheminées. L'odeur des vieux livres la frappa de plein fouet. Elle jeta un bref coup d'œil aux symboles et déclara :

— Il est écrit qu'un elfe du nom de Enaël a le pouvoir et le devoir absolu de sauver le monde.

Il ouvrit des yeux ronds.

— Je plaisante, je ne comprends strictement rien à ce qui est écrit, sourit Solenn en s'efforçant de cacher sa déception.

Enaël ne rit pas. Peut-être avait-elle touché un point sensible, mais il n'avait pas l'air d'avoir beaucoup d'humour.

Au moment de reposer le livre, Solenn crut remarquer le symbole de son collier sur la couverture. Piquée par la curiosité, elle ne laissa rien paraître mais se promit de revenir pour essayer de comprendre ce qui y était écrit, tandis qu'Enaël l'emmenait dans les bois.

— Bon, dernière destination, la forêt. Il s'agit d'un endroit plus qu'important car c'est le lieu où nous nous ressourçons et il s'agit un peu de notre deuxième maison. Et puis... ajouta-t-il, si mes craintes sont fondées à propos des humains, ce sera le seul endroit où nous pourrons nous cacher. Ils découvriront les souterrains quoi qu'il arrive alors que la forêt est dense et nous seuls la connaissons par cœur. Il va falloir que tu en connaisse les moindres recoins si tu veux t'allier à nous.

Solenn s'arrêta net.

— Ils ?

— Les humains.

— Tu m'as l'air convaincu qu'une guerre aura lieu, Enaël. Pourtant, je connais les hommes. Ils sont pour certains mauvais mais il ne s'agit pas de la majorité, et ils n'iraient pas jusqu'à faire la guerre à des êtres pacifiques comme vous.

— Pourquoi crois-tu que nous existons alors ? rétorqua-t-il avant de se reprendre.  Arrêtons-nous ici, il faut que je te montre certaines fleurs.

Ils se mirent à une dizaine de mètres d'un massif de fleurs rose écarlate.

— Ces plantes sont certainement les plus dangereuses de ces bois. Si tu en ingères ou respire de trop près leur odeur, tu es partie pour un coma de plusieurs années. On les appelle les tsé-tsé en honneur des mouches ayant les mêmes capacités. Bref, dès que tu vois du fuchsia comme celui-ci, éloigne-toi.

Ils marchèrent encore jusqu'à tomber sur une plante ressemblant à du blé.

— Cette plante existe dans votre monde il me semble. On l'appelle l'épilobe en épi et est comestible, voire assez nutritive. En fait, il s'agit d'une version améliorée de la vôtre.

— Et celles-ci ? demanda Solenn en pointant des petites fleurs blanches du doigt.

— Ce sont des lunationnes. Elles te plaisent ?

— Je les trouve magnifiques.

— Moi aussi, sourit Enaël.

Il en ramassa une qu'il passa dans les cheveux tressés de Solenn en rougissant.


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