Retrouvailles

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Lorsqu'elle se réveilla Solenn vit comme la fois précédente Enaël assis sur son lit. Mais il ne s'agissait pas du même lit que la dernière fois. Une évidence la frappa : Elle était chez quelqu'un d'autre.

— J'ai changé de Virtum ? plaisanta-t-elle.

— Virtus, corrigea-t-il gentiment. Tu te souviens de ce qu'il s'est passé ?

Solenn s'en rappelait parfaitement mais elle ne voulait pas en parler. C'était bien trop étrange.

— Où suis-je ? demanda-t-elle simplement pour éviter la question.

— Non Solenn, tu ne peux pas éviter le sujet. Ecoute, tu es dans la maison de quelqu'un qui voudrait discuter avec toi. Je peux le faire entrer ?

Elle acquiesça, surprise. Enaël se leva et ouvrit la porte. Un elfe dans la force de l'âge se tenait sur le seuil. Il avait l'air jeune mais ses traits et son regard trahissaient un âge plus avancé. Enaël s'éclipsa discrètement.

— Bonjour Solenn, dit l'homme. Je m'appelle Aranwë. Je t'ai apporté quelques cadeaux.

Solenn hocha la tête une nouvelle fois. Quelle surprenante entrée en matière. Elle se redressa et, sans plus de cérémonie, il lui tendit du linge. Voyant qu'il ne savait pas où se mettre, mal à l'aise, elle lui proposa de s'assoir sur la chaise à côté de son lit. Puis elle déplia les vêtements et découvrit plusieurs magnifiques tee-shirts verts et bleus. Ils étaient ouverts sur les côtés, laissant apercevoir ses côtes. Elle trouva aussi une longue robe blanche et légère comme si elle avait été faite de nuages, ainsi que des pantalons larges et confortables et de simples T-shirts noirs en coton.

— Ces vêtements seront sûrement plus adaptés au climat de notre monde que tes affaires, expliqua Aranwë.

— Merci, répondit simplement Solenn, mal à l'aise.

Elle souleva un des tee-shirts pour le plier lorsque quelque chose en tomba. Il s'agissait d'un collier. Emeraude et argenté. Fait de trois gouttes entrelacées, comme celui qu'elle serrait contre son cœur avant de s'endormir. Comme la seule chose qui lui restait de son père.

Le pendentif tomba par terre dans un bruit métallique. Elle avait mis quelques secondes à comprendre. Il lui avait volé son collier, ça ne pouvait être que ça. Mais elle vit son regard, un regard triste et anxieux, comme s'il voulait lui avouer quelque chose.

Il serait... Son père ? C'était plus qu'elle ne pouvait en supporter. Cet homme, qui l'avait abandonnée à sa naissance, et qui osait se manifester en lui donnant un vulgaire collier ? Qui croyait-il tromper ? Elle avait grandi sans lui, avec un vide là où aurait dû être son père !

Prise d'une force nouvelle, elle se leva. A travers le flou de ses larmes, elle atteint la porte et partit en courant, sans savoir où elle allait. Enaël l'aperçut aussitôt et partit à sa poursuite.

— Solenn, Solenn, arrête-toi ! cria-t-il.

Mais elle, aveuglée par sa rage, continuait sa course. Elle finit par reconnaître sa maison, s'y engouffra et ferma à clef derrière elle. Enaël toqua, toqua encore, la supplia de lui ouvrir, puis, voyant qu'elle ne répondait pas, resta derrière la porte à l'attendre.

Lorsqu'elle eut séché ses larmes et repris un semblant de dignité, elle déverrouilla la porte. Il entra en silence, ne dit pas un mot, rien, sur le fait qu'elle l'ait enfermé dehors. Il aurait pu rentrer chez lui, mais, gentil comme il était, il n'en avait rien fait. Enfin, il s'assit en face d'elle et dit :

— Il t'aime vraiment. Certains jours, quand tu grandissais avec ta mère, loin de lui, il avait le regard dans le vide en pensant à la formidable enfant que tu devais être. Il est si différent des autres elfes, Solenn. Il n'est pas hautain, ni indifférent comme peuvent l'être les elfes. Il a des émotions, un cœur qui bat pour toi et ta mère, une bouche pour nous parler de vous, souvent, des oreilles, pour essayer de t'entendre de là où tu étais et...

Solenn ferma les yeux, bercée par ses paroles. Elle ne devait pas constamment se laisser submerger comme ça par ses émotions. Elle allait lui parler, et elle verrait si ce que cet homme avait à lui dire était sincère.

— Laisse-moi un peu de temps, l'interrompit-elle. Je vais aller le voir. Je retrouverai le chemin ne t'inquiète pas.

— Je t'accompagne, répondit-il.

* * *

Il l'attendait, assis à la même place qu'avant, le regard baissé vers le sol. Son père. Il n'était peut-être pas si mauvais que ça après tout, il avait l'air de s'en vouloir. Elle s'assit sur le lit, après avoir écarté les habits. Il avait ramassé le collier, qui était maintenant soigneusement rangé sur la table de nuit.

— Je suis désolée Solenn, commença-t-il. Mon dieu, tellement désolé. Ta mère ne pouvait pas vivre chez les elfes, ni moi chez les fées.

— Pardon ?

— Ta mère est une fée. Je suis un elfe. Et toi, une Amæra. Lorsque deux êtres magiques issus de peuples différents ont un enfant, celui-ci détient les gênes des deux. C'est ce qu'on appelle une Amæra. C'est pour ça que tu as cette cicatrice sur la cheville. Quand une Amæra meurt, elle se met à briller. Et également au moment de l'apparition de tes Dons. Ce qui t'a permis de soigner ce garçon, c'est cet assemblage de gênes. Tu as ce pouvoir, mais ce n'est pas le seul.

Elle releva la tête, sonnée. Ce genre de choses n'existant que dans les livres. Un millier de questions germaient dans son esprit.

— Si ma mère ne pouvait pas vivre chez les elfes, pourquoi n'êtes-vous pas venu avec nous chez les humains ?

Il ferma les yeux. Quand il les rouvrit, ils étaient brillants.

— J'ai des devoirs envers mon peuple. Ta mère a pris la décision de partir de chez les fées, mais elle ne peut plus y retourner. Je ne pouvais pas faire ça. Ma vie est ici. J'aurais tant voulu te voir grandir ; ta mère et toi êtes ce qui compte le plus à mes yeux. Mais de là à renier mes origines, mes coutumes et à oublier ma famille, non c'est impossible. Si j'avais quitté ce monde, nous aurions été condamnés tous les trois à vivre chez les humains pour toujours. Alors que maintenant, si ta mère et toi le désirez, vous pouvez vivre ici. Je nous ai offert une porte de sortie.

— Mais qui vous dit que je ne veux pas vivre là-bas. Qui vous dit que vous avez fait le bon choix ? Peut-être aurions-nous été heureux, tous les trois. Vous ne savez pas ce que ça fait de grandir sans père, sans modèle, sans personne pour t'expliquer pourquoi tu es différent des autres.

Il baissa la tête, vaincu.

— Je suis désolé. Je... J'espère seulement qu'on arrivera à dépasser ça un jour.

Solenn acquiesça mais tous deux savaient très bien que ce ne serait pas facile.

Après un long silence, il reprit la parole.

— Ce n'est peut-être pas le meilleur moment pour t'en parler mais le plus tôt sera le mieux. Tu es une Amæra. Cela entraîne bien plus qu'une appellation. Tu as des pouvoirs. Je ne sais pas encore lesquels, et toi non plus j'imagine, mais il s'est déjà révélé que tu avais le don de soigner les gens, et peut-être même les animaux. L'acquisition de tes Dons va être rude et compliquée, d'autant plus que tu es jeune. Dans les jours prochains, au moindre signe de leur apparition, fais-moi appeler. Je t'enseignerai leur maîtrise avec l'aide de Kathleen. C'est une Amæra, comme toi. Elle est sévère, aussi te faudra-t-il te tenir à carreau. Ah, et une dernière chose, je suis désolé de te l'apprendre, mais tu vas être obligée de rester ici jusqu'à ce que tu aie reçu tes trois Dons.

* * *

En rentrant chez elle ce soir-là, et tout au long de la soirée, quelque chose tracassait Solenn, plus encore que l'idée de laisser sa mère s'inquiéter pour elle. Un souvenir remontait en elle, mais elle n'arrivait pas à le saisir. Alors qu'elle sombrait dans le sommeil, elle finit par trouver quoi.

DIMENSIONSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant