'Tu veux bien me parler de Nolan ?' me demande Harry après un moment.
'C'était un petit bonhomme de cinq ans, et il adorait Le Petit Prince. La dernière fois que je l'ai vu, je lui ai lu le livre trois fois...'
'C'était un sacré fan, dis donc' sourit Harry.
'Tu avais raison, tu sais, quand tu m'as dit que je ne comprendrai que quand je perdrai quelqu'un. C'est vraiment moche.'
'Je suis vraiment désolé pour Nolan.'

Je serre Harry un peu plus contre moi et même si l'on commence à être à l'étroit sur cette chaise, on ne bouge pas pendant encore un bon moment. Parce qu'on a besoin de cette proximité tous les deux. On ne se connaît que très peu et je sais que ses jours sont comptés, mais parfois les choses n'ont pas de sens. Il faut juste les vivre. Alors j'ai sans doute un côté masochiste à vouloir m'infliger une telle douleur, mais je suis prêt à affronter tout ça avec lui, même si je ne sais pas à quoi m'attendre. La vie lui offre encore six mois, alors je veux vivre chaque jour à ses côtés et profiter de chaque instant qui nous est donné. On ne sait pas combien ça durera, ni même si ça marchera. Peut être que demain ou la semaine prochaine Harry ne voudra plus de moi, mais au moins on aura essayé et je veux avoir la possibilité de dire qu'on aura mis toutes les chances de notre côté.

*

Les semaines suivantes, je les aient toutes passées avec Harry. On est très vite devenu dépendants l'un de l'autre et on ne supportait pas de rester sans se voir trop longtemps. Mes journées se résumaient à aller en cours la semaine, parfois je n'y allais pas du tout de l'après midi, pour ensuite courir à l'hôpital et passer des soirées entières dans la chambre avec Harry. On ne fait pas grand chose en général. On parle beaucoup, énormément même. On apprend à se connaître dans les moindres détails. C'est comme un besoin de savoir quel marque de céréales il mangeait quand il était à la maternelle ou quelle musique il chantait sous la douche quand il avait quinze ans. Tous ces petits détails insignifiants, mais qui ont une importance majeure à mes yeux. Ce sont ces petits rien qui font que je tombe toujours plus pour Harry au fil des jours. Ces petites choses qui me donnent envie de lui offrir l'éternité toute entière. Ma vie pour la sienne. Parfois on regarde des émissions carrément nulles sur le petit écran de la télé jusqu'à ce qu'il s'endorme, c'est-à-dire rapidement, et que je parte sur la pointe des pieds pour le laisser se reposer. Mais ce qu'on préfère tous les deux je crois, c'est d'aller regarder les étoiles sous le toit en pyramide que je lui ai fait découvrir au début. Il n'est pas autorisé à sortir le soir parce qu'il fait froid et qu'il ne doit pas prendre de risque d'attraper un rhume avec ses poumons fragiles, alors on reste à l'intérieur et c'est notre imagination qui permet de nous évader pour un moment. On n'a pas le droit d'aller dans cette partie de l'hôpital, mais toutes les infirmières sont au courant que l'on en fait qu'à notre tête. On ne cache à personne que l'on passe notre temps ensemble et je n'ai laissé personne nous en empêcher. Pas même mes parents. Personne. Et je sais que je suis en train d'abandonner les cours et que je risque de ne pas avoir mon diplôme en fin d'année, mais de ça aussi, je m'en fiche. Pour faire simple, je m'en contre fiche de tout à l'heure qu'il est. Sauf de Harry. J'essaie de ne pas y penser, mais chaque jour qui passe est un petit pas qui le rapproche de l'inévitable et même si les traitements lui permettent de vivre à peu près correctement, je sais qu'il s'affaiblit. C'est difficile pour moi de le voir mal et de ne pouvoir rien y faire, mais c'est encore plus dur pour lui parce qu'il sait ce qu'il l'attend. Mais de ça, on n'en parle pas. On le sait tous les deux, alors pas besoin de mettre des mots dessus. Depuis la semaine dernière, Harry participe aux activités avec les autres enfants le week-end et même s'il était réticent à l'idée de passer du temps avec d'autres malades comme lui, ça lui plaît maintenant. Il est le plus âgé de l'étage, alors il amuse surtout les plus petits. Il aime leur raconter des histoires ou leur lire des livres et il est très doué pour ça. Souvent, je m'assois dans un coin de la pièce, et je souris bêtement en l'écoutant raconter comment trouver un trésor sur une île déserte ou bien comment il a rencontré un géant dinosaure dans une forêt enchantée quand il était plus jeune. Tous les enfants sont captivés et le temps de quelques heures, ils arrivent à en oublier la perfusion plantée dans leurs petits bras, ou le fil d'oxygène dans leur nez minuscule. Ils sont juste assis là, à boire les paroles d'un garçon qui pourrait être leur modèle, comme des enfants que la vie n'aurait pas punie injustement.

J'ai remarqué que souvent dans ses histoires, Harry évoquait l'océan, alors un mardi soir, alors qu'il était dans mes bras dans son lit d'hôpital, je lui ai posé la question.

'C'est parce que je n'ai encore jamais vu l'océan, et je rêve d'y aller.' m'a-t-il répondu doucement.

Autour de nous, des guirlandes lumineuses brillent un peu partout. On les a installées il y a quelques jours, alors qu'il faisait un orage et que la pièce était trop sombre pour lui. On a mis des guirlandes en forme de nuages, des boules et même certaines en forme de vagues. Ça l'apaise et c'est tout ce que je voulais.

'Tu n'as jamais vu l'océan ?' je demande, un peu surpris.
'Non... tu veux bien me dire à quoi ça ressemble ?'
'C'est immense toute cette étendue d'eau à perte de vue. Le bruit des vagues et cette odeur d'iode qui fait l'effet d'une bouffée d'air frais. C'est magique, tout simplement.'

Harry se tourne un peu vers moi pour me regarder et dans ses yeux je comprends. Je vois à quel point il rêve de vivre ça par lui-même, mais que ça n'est pas possible parce qu'il est bloqué dans cet hôpital, complètement dépendant d'un foutu traitement pour le maintenir en vie. Et ça me brise le cœur. Harry, mon Harry, devrait avoir tous les droits du monde. Rien ne devrait lui être refusé.

'Je t'emmènerai voir l'océan', je lui dis en portant une main à son visage.

Ses yeux se mettent à briller d'une manière bien plus intense, telle une lueur d'espoir ravivée au fond de lui. Ces quelques mots prononcés ont le goût d'une promesse que je compte bien tenir, peu importe par quels moyens on y parviendra. Je ne peux pas l'aider à contrer cette maladie qui le dévore, je ne peux pas empêcher sa propagation, mais je peux l'aider à réaliser son rêve. Alors ce soir là, incapables de décrocher nos regards de l'autre, je lui fais la promesse silencieuse que dès la fin de l'hiver, je l'emmènerai au bord de mer. Ma main qui caresse son visage, je remonte doucement vers ses cheveux bouclés pour y mêler mes doigts et l'approcher un peu plus de moi. Jusqu'à ce que nos lèvres se trouvent pour un doux baiser. Notre premier baiser, qui a un goût de sel. Harry a le goût du sel.

A drop in the oceanWhere stories live. Discover now