Chapitre 8

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Persephone

Affairée dans ma prison dorée, je me baladais entre les nombreux ouvrages qui ornaient les immenses étagères de ma bibliothèque privée. Mes doigts fins passant sur les reliures avec une véhémence extrême. J'aimais ces ouvrages, ils me permettaient de ne pas me sentir seule et de voyager selon les contrées qui entouraient le temple. Une fois que j'eus trouvé le livre dont j'avais besoin à cet instant, je m'en emparai et regagnai mon petit bureau en pin et m'y installai. Je m'attachai les cheveux afin de sortir les récipients et les différentes plantes qui me serviront pour mon cataplasme. Ma toge en lin semblait flotter autour de moi.

Avec la grâce d'un félin, je me déplaçai dans mon établi une liste d'ingrédients à la main, j'attrapai un bon nombre d'amphores et de jarres remplies de fleurs et de plantes médicinales telles que de la valériane, des fleurs d'harpagophytum et des feuilles de saule. Ainsi que différentes huiles extraites de nos jardins. Munie de mon butin, je posai le tout sans délicatesse sur le bureau et sortis un mortier en argile rouge. Je broyais mes ingrédients avec de la graisse, créant une pâte légèrement rosâtre, un effluve amer s'éleva dans la pièce alors que je renfermais la mixture dans une Aryballe. Je passais toutes mes journées à étudier les plantes et leurs bienfaits sur le corps humain. En tant que future déesse de la nature, je me devais de les connaître sur les bouts des doigts. Mère comptait sur moi pour faire vivre les humains avec mes pouvoirs. J'étais qu'une déesse mineure, je n'avais pas participé à la Titanomachie. Je n'étais pas née de l'union de deux titans. Pendant neuf mois Déméter m'avait porté, j'étais devenue son petit rayon de soleil.

Elle avait néanmoins dû demander de l'aide au roi des dieux pour m'avoir et c'est comme cela qu'il s'était lui même auto proclamé comme mon père.

Trois coups sur la porte de ma chambre m'indiquèrent que l'une des nombreuses prêtresses qui servaient dans notre demeure cherchait à se faire inviter.

-Entrez ! Hurlai-je à son intention.

Une femme aux cheveux d'un blond doré et aux yeux noirs s'inclina devant moi. Sa tenue bleue montrait sa place dans la société Olympienne. Seuls les dieux étaient autorisés a porté du blanc ou du noir. Les prêtresses portaient du bleu ou du vert et les paysans des couleurs grises et se rapprochant des sables.

Je n'arrivais pas à concevoir comment mon « père » pouvait leur manquer de respect. Ils étaient peut-être dans une classe sociale inférieure à la nôtre, mais ils ne méritaient pas cet acharnement. Sans cesse, on leur rappelait qu'ils n'étaient pas comme nous.

-Parlez.

-Votre Mère, la déesse des moissons, souhaitent s'entretenir avec vous. On m'a dit de vous prévenir que c'était assez urgent.

-Merci.. Je marquais un temps d'arrêt avant de lui poser une question. C'est la première fois que je vous vois parmi les murs de ce temple. Comment vous appelez vous ?

-Je me prénomme Cynthia, Déesse du printemps.

-Cynthia, vous pouvez disposer. Répondis-je en quittant la chambre que j'occupais sans cesse.

Je quittais la pièce qui me servait d'atelier. Mère m'avait permis d'avoir cette pièce rien que pour moi. J'aimais faire des expériences et parfois, mes mixtures donnaient de véritables médicaments que je revendais aux déesses mineures des remèdes. Panacée m'en achetait souvent. Elle disait que mes cataplasmes étaient les meilleurs de tout le royaume. J'étais flattée d'avoir autant de compliments sur mon travail. Si seulement j'étais devenue une déesse des remèdes et non une déesse du printemps.

Devant l'immense porte de bois de la serre, je me tendis droite comme un poteau, le visage fermé, je donnai quelques coups sur le battant avant que celui-ci ne s'ouvre et que je n'aperçoive ma mère vêtue de sa longue toge blanche brodée de fleurs.  Elle semblait lire une lettre, ses lèvres étaient pincées et son nez retroussé ce qui n'était jamais bon signe quand elle faisait cette tête. De sa main, elle me fit signe de s'approcher d'elle.

J'exécutai ses ordres en silence, mes pieds frôlant le sol de terre, la serre était éclairée par le soleil radieux haut dans le ciel, avec précautions, je restais mutique. Elle me fixa en soupirant, glissant sa main entre ses cheveux aussi blonds que des épis de blé et déclara d'un ton solennel.

-Zeus souhaite que tu regagnes le Mont Olympe pour commencer ton entrée dans la cité. Tu es une déesse maintenant. J'ai essayé de te préserver de son influence aussi longtemps que je le pouvais, mais malheureusement le jour que je redoutais tant est arrivé.

-Et si je refuse ? Demandais-je pleine d'espoirs de rester ici. J'aimais cette vie même si vivre au temple s'apparentait à une prison dorée.

-Il enverra ses gardes et ses créatures te chercher. Il serait prêt à mettre la ville à feu et à sang juste pour te récupérer.

-je ne peux pas le laisser nuire au royaume...

-Persephone, tu ne peux pas m'abandonner...

-Si je ne le fais pas alors notre royaume va souffrir. Je suis une déesse, je me dois de les protéger. C'est mon rôle ! J'ai déjà vécu là-bas quelque temps, je survivrais Mère.

Impuissante, ma poitrine se soulevait avec difficulté. Je venais de me sacrifier pour les mortels. Mais je savais que je n'allais pas être seule. Enfin, seulement si Hadès pouvait me rendre visite.

Je quittai la serre, la tête haute, mais lorsque le battement de bois fut clos, mes larmes commencèrent à dévaler mes joues, je savais tout cela depuis ma naissance. Je savais qu'un jour, on viendrait me chercher pour me faire vivre loin de mes proches.

Mes pas me guidèrent jusqu'aux immenses jardins qui bordaient la serre et le temple, je foulais les allées recouvertes de graviers grisâtres et passais entre les immenses haies d'azalées qui bordaient les axes principaux des jardins. Je courus jusqu'au centre du labyrinthe que ma mère appréciait tant et lorsque je fus seule, je me laissai sombrer sur le sol. Les paupières closes, je répétais comme un mantra les deux mots suivants :"calme-toi". Mes ongles lacérèrent mon épiderme alors que je tentais par tous les moyens de me calmer.

Autour de moi, l'herbe verte de ce mois de mars commença à brunir, passant d'un vert éclatant à un ocre brûlé, une odeur âcre s'éleva dans l'air me forçant à ouvrir les yeux, un fin filet de fumée opaque s'échappait des flammes qui avaient pris possession du parterre végétal.

-Pas maintenant ! Grognai-je en tentant désespérément d'éteindre les flammes qui grandissaient.

    Je vérifiais que j'étais seule avant de me concentrer sur mes pouvoirs et de forcer ces flammes à disparaître dans le néant, quelques secondes après, il ne restait plus qu'une trace de brûlé dans l'herbe ocre. Ma robe blanche était tachée de terre et ma mère risquait de se tirer les cheveux lorsqu'elle me verrait dans cet état, mes cheveux rebelles vivaient leurs propres vies, mes taches de rousseur contrastaient avec la couleur porcelaine de ma peau, sur mes avants bras se trouvaient de minuscules griffures rouges, mes ongles étaient noircis par mes préparations pharmaceutiques. Je n'avais rien pour être une déesse. Je ressemblais surtout à une nymphe de la forêt.

Le calme du jardin s'estompa lorsque je regagnai l'effervescence du manoir, çà et là des domestiques couraient et se dépêchaient pour organiser mon futur départ.

"Ravie de voir que je ne suis qu'un objet dont on a hâte de se séparer."

Le nouveau mythe : TOME 2 RenouveauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant