Souvenirs

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    Yllana poussa le voile qui obstruait l’entrée et un regard se posa sur elle. Chose tout à fait banale, me direz-vous, mais c'était pour la jeune elfe bien inhabituel. Il était rare que des regards s’attardent sur elle, ou qu’une oreille traîne dans ses paroles. Elle se plaisait à penser qu’elle était aussi discrète qu’une souris, mais cela lui manquait un peu. Les conversations avec ses proches, se balader avec ses amies, ces souvenirs étaient si troubles qu'elle ne pouvait situer des lieux ou nommer des gens qui avaient fait partie de son passé, mais un intense sentiment de nostalgie la prenait quand ses pensées dérivaient.

    Le vieil homme à qui appartenait le regard s’avança vers elle. Un air troublé accentuait les rides de son visage et, quand il prit la parole, sa voix était incertaine.

— Maj...

— Je suis Yllana, enchantée, le coupa l'elfe. Vous êtes bien Kar, devin ?

— C'est ainsi qu'on me décrit. Que puis-je pour vous ?

— Il se trouve qu'un certain nombre de choses me pose problème, et j'aimerais que vous m'aidiez.

    Silencieux, le vieux sage acquiesça et l'invita à s'asseoir à même le sol, en face de l'âtre. De l'autre côté de ce dernier se trouvait un tapis où il s'installa aussi. C'est alors qu'il lui demande de lui parler de tout, ce qui c'était passé et la raison de sa venue. Elle lui raconta ses amnésies, elle lui raconta ses cauchemars, elle lui raconta son invisibilité permanente auprès de presque tous les êtres. Elle lui confia aussi ses cicatrices qui la défiguraient.

— Si je récapitule ce que vous venez de m'annoncer. Vous ne savez pas qui vous êtes, d'où vous venez, quelle est votre histoire. Vos souvenirs les plus anciens remontent à quelques années, alors que vous savez que vous avez 23 ans. De plus, vous connaissez des informations sur vous sans savoir leur provenance, comme votre âge ou votre prénom. Votre corps entier est recouvert de cicatrices et la plupart des personnes que vous croisez agissent comme si vous n'étiez pas là. Ai-je bon ?

— C'est bien ça. Je suis venue ici pour tenter de retrouver mon passé et surtout pour effacer ces immondes traces qui couvrent ma peau.

— Très bien. Fermez les yeux. Calmez votre respiration. Retournez au fond de vous-même et laissez-vous guider par ma voix. Que voyez-vous ? déclara Kar, essayant de masquer les tremblements de sa voix.

— Je vois... De la fumée. Un océan de fumée qui m'empêche de distinguer quoi que ce soit.

    Le vieil ermite resta songeur un instant. Il était maintenant certain de l'identité de la personne qui se présentait devant lui. Ses souvenirs tourbillonnaient dans sa tête comme une nuée de feuilles malmenées par le vent, et il ne parvenait pas à accepter ce qui se déroulait devant lui. Il fut cependant contraint de se ressaisir, Yallana n'allait plus tarder à s'impatienter.

— Essayez de voir plus loin que cet écran, de le percer par votre force mentale. C'est un simple voile, qu'y a-t-il de l'autre côté ?

— Des particules rouges... De la neige rouge et jaune qui vole.

— Yllana. Vou... Tu n'es plus ici. Tu es là-bas, au milieu de cette neige. Tu n'es plus ici, murmura-t-il en mettant toute sa force de persuasion dans ces quelques mots.

    Elle bascula. Elle n'était plus assise sur le sol froid, en compagnie de l'ermite en haut d'une montagne, elle se trouvait dans un bâtiment, qu'elle n'arrivait pas à distinguer plus précisement à cause du brouillard sombre qui l'entourait. Elle se sentait comme un parasite greffé sur quelqu'un, mais cette personne lui était terriblement familière. Dans sa tête, les nuées de questions qui se bousculaient étaient écartées par une force devant laquelle elle était impuissante. Une force qui la faisait suivre un cheminement de pensées et d'actes qu'elle ne comprenait pas et dont elle ne captait que quelques brides.

    Le paysage qui trônait en face de ses yeux était dévasté. Tout était en nuances de jaune, de rouge et d'orangé. Un crépitement assourdissant aveuglait tous ces sens, tel un ronflement qui étouffait le reste. Une odeur piquante et presque douloureuse oppressait sa poitrine et elle tomba au sol, sous le choc. Les langues rouges et oranges se faisaient de plus en plus proches, des monstres affamées qui menaçaient de la dévorer. Elle tenta de reculer mais elles l'entouraient, l'encerclaient, comme si elles allaient se jeter sur elle à la seconde suivante.

    Cela arriva. Yllana se fit submerger par la vague lumineuse, provoquant une explosion de douleur sur chaque parcelle de son corps. Celle qui était auparavant une jeune elfe se noyait dans un océan de douleur. Cette dernière la rendit complètement folle. La réalité vola en éclat. Tout devint noir, paisible, et son souffle s'arrêta, comme une plume qui tombe.

    Le vieil homme regardait le corps de la jeune elfe disparaître lentement, elle devenait translucide. Pour tous, elle n'était plus depuis deux ans. Mais en l'entendant se présenter tout naturellement à l'entrée de sa grotte au début de cette après-midi tout à fait banale, Kar avait eut l'espoir que tout ceci n'eut été qu'un mauvais rêve d'où il venait enfin de se réveiller. Malheureusement, son espoir avait vite été ravi par la dure réalité. Il lui avait au moins offert le repos éternel auquel elle aspirait, même si la tristesse qui l'étreignait l'empêchait d'être fier.

    Pris de nostalgie, il se leva, se dirigea vers ses étagères et y prit une tablette d'ardoise posée sur la tranche. Il y apparaissait le dessin d'un bâtiment richement décoré, le palais royal. Sur les marches du perron se trouvaient deux jeunes gens, magnifiques, amoureux, lumineux. Les moindres détails du jardin et de l'architecture étaient représentés avec une finesse et une beauté incomparable, mais les amants éclipsaient tout ce merveilleux décor. Le titre en bas de ce tableau indiquait "Veille du mariage de la princesse Yllana"

— Quel gâchis... Il suffit d'une simple étincelle pour bouleverser un monde.

***

Hello ! Voilà un nouveau texte. Je l'ai écrit pour un concours, La dernière flamme (créé par les Kenyenns). C'était le texte pour la répartition dans les équipes (je suis allée dans l'équipe des volcans). On devait écrire un texte qui parlait de feu mais sans utiliser le mot flamme et d'autres liés. Voici les mots bannis :

Bougie, brasier, bûcher, brûlure, braise
Chaleur, cheminée, cendre, consumer
Embrasement
Flamme, feu, flamber
Incendie, incendiaire

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