Et si on commençait par la fin ?

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Ajin prit la plus profonde inspiration de sa vie et planta son épée autrefois étincelante dans le cœur du roi déchu. Avec un grognement héroïque, ce dernier chuta avec lenteur sur le sol et vint heurter les dalles luisantes. Il était déjà mort.

     Le jeune homme lâcha la lame, puis épongea son front imbibé de sueur à l'aide de sa manche, ignorant le sang qui la maculait. Ses yeux brillants se posèrent sur le trône de marbre parcouru de nervures avec délectation et soulagement. Le but qu'il poursuivait depuis plusieurs années était enfin atteint : le roi était mort, son règne de terreur et de famine était arrivé à son terme. De plus, il avait l'immense joie de constater que c'était lui, le fils bâtard d'un de ses plus fidèles conseillers, qui avait porté le coup fatal à ce monstre qui avait perdu toute son humanité au fil des horreurs qu'il avait commises. Cela signifiait que c'était à lui de prendre la relève.

     L'armée de rebelles et les gens du peuple qui l'avaient suivi continuaient à se battre au bas de la citadelle, ne sachant rien de l'issue du duel. Les cris et les chocs métalliques parvenaient à peine à ses oreilles. Une larme scintillante glissa le long de sa joue maculée de poussière, traçant un chemin de pureté au travers de toute cette boue.

     Ajin s'assit avec délicatesse sur le trône comme s'il avait peur qu'il explosa à l'instant où il effleurait la pierre encore tiède de la chaleur de son ancien propriétaire, puis passa sa main dans ses cheveux. Il observait l'homme mort à ses pieds, regardant avec une certaine forme de dégoût la tâche écarlate qui commençait à apparaître sous son corps. Cette vision ne le ravissait pas, au contraire, il n'avait aucun attrait pour la souffrance et le crime, à la différence de son prédécesseur.

     Il revint peu à peu à la réalité. Ses deux compagnons tenaient en respect la générale du roi Albyssius, désormais vaincu : Tylliana. Celle-ci, bien que désormais captive, s’était vaillamment battue. À l'instant où elle avait vu son dirigeant tomber, elle avait lâché ses armes au sol et elle se tenait maintenant la tête baissée, sans se rebeller.

    Le regard du nouveau souverain transperça l'air étouffant de la pièce pour traverser la fenêtre et parcourir les paysages qu'il apercevait au delà de la ville. Tout cela était à lui, rien qu'à lui et il pouvait en faire ce qu'il désirait. Avant de pouvoir mettre en œuvre n'importe lequel de ses projets grandioses, il devait tout d'abord reconstruire le pays qui avait été profondément meurtri par des années de conflits internes, de privation et d'injustices, et cela prendrait certainement de longues années. 

     Gorthar le héla. Il tenait toujours sous sa lame la vue de Tylliana et attendait les ordres de son maître, ou plutôt de son nouveau roi, pour savoir que faire. Ajin reporta son regard encore fou du choc du combat vers la femme qui se tenait, tremblante, non loin de son fidèle bras droit. 

    C'était un danger. Elle avait servi trop longtemps ce roi corrompu et malsain pour que sa personnalité ne fusse pas entachée de son influence néfaste et la garder à ses côtés serait, malgré ses grandes qualités guerrières qu'il était obligé de reconnaître, une grave erreur qui pourrait lui causer du tort à l'avenir.

     La mort dans l'âme, il se leva du siège inconfortable qu'il allait occuper pour les années à venir. Au moment de ramasser son épée qui gisait sur le sol brillant, des doutes ébranlèrent son cœur. Cette femme était encore jeune et elle était maintenant hors d'état de nuire… En prenant des précautions suffisantes, il pourrait peut-être en faire quelque chose d'utile. À cet instant, elle releva ses yeux brillants de fatigue — ou de larmes — vers lui, le perturbant. Son regard était dur et froid, empli d'une telle haine que l'hésitation d'Ajin s'effaça contre une braise qu'on recouvre de cendres. 

    Cette femme tenait encore entre ses mains de grands pouvoirs auprès de ceux du peuple qui ne le soutenaient pas, principalement des nobles ou des bourgeois, et il ne pourrait jamais avoir le contrôle de tout ce qui se passait dans son esprit. S' il la laissait faire ce qu'il lui plaisait, il aurait bien vite fait de se retrouver avec un couteau entre les côtes et cela n'était certainement pas son but. Quant à la prison, elle était déjà bondée et la générale nécessiterait beaucoup trop de surveillance pour une vie aussi pathétique, coincée entre quatre murs.

     Il avait pris sa décision. Il souleva son arme, fit un signe à Gorthar et au second homme pour qu'ils s'écartent puis lança sa force pour donner un coup de taille à l'humaine devant lui. Il vit son regard, fou de terreur, alors qu'elle restait paralysée et incapable de faire quoi que ce soit pour essayer de se sortir de cette situation. Il ferma les yeux quand le métal acéré frappa la chair.

    L'odeur envahit ses sens et une vague de dégoût s'empara de son corps. Il grommela à Gorthar de débarrasser la salle des corps qui gisaient là, empestant sa nouvelle demeure. Ce dernier obéit en lançant un grand sourire à Ajin, un sourire de vainqueur, le sourire de celui qui voyait le but de son camarade enfin atteint.

     L'homme se reprit. Il faisait tout cela pour une cause juste, quelque chose de bien plus grand que de simples vies. Il n'avait pas à avoir honte.

     Il se rassit, l'arme au côté. Un nouveau règne débutait à l'instant, une nouvelle date s'inscrivait dans l'histoire. Ce jour-ci était le début d'une époque de richesse, de puissance et de gloire ; son époque. Le roi est mort, longue vie au roi.

***

Bonjoir ! Ce texte a été écrit pour le défi musique #7 d'Auteurs du Dimanche, qui consiste à écrire un texte à partir/en s'inspirant d'une musique. Cette fois-ci, la musique était « Empire of angels — Sun » de Two Steps from Hell.
Merci de votre lecture et bonne journée !

Comètes De MotsWhere stories live. Discover now