Chapitre 19

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Je sursautai et me retournai pour voir qui c’était. Gabriel, que faisait-il ici? Question que je lui posai d’ailleurs.
—Et bien, commença-t-il avec un sourire en coin, je me promène dans la cour de mon domaine.
—Excuse-moi. J’oubliais que tu vivais ici.
—Il n’y a pas de mal. Je peux m’assoir un moment?  
—Bien sûr.
Il se laissa aller contre arbre et se glissa jusqu’au sol, toujours avec le sourire aux lèvres. Sa présence ne me dérangeait pas, contrairement à celle des autres.
— Pourquoi souris-tu?
—Ah! Je ne m’en lasse jamais. Vois-tu, nos cinq compères ne sont jamais en accord. Mon frère lui, endosse le rôle de moralisateur. Il ne supporte pas les conflits entre nous.
—J’avais remarqué. Et lui, qui s’occupe de lui faire la morale?
—Ça c’est mon rôle, mais il déteste ça et je le comprends. Après tout, un moralisateur qui se fait faire la morale, ça doit être démoralisant à la fin.
—C’est vrai, dis-je tout sourire. Au moins il a quelqu’un qui l’écoute et qui lui tire les oreilles. Il est tellement sérieux.
—Je le suis moi aussi, mais d’une manière différente, dit-il en portant son regard au loin.
—Que penses-tu qu’il se passe à l’intérieur, demandai-je en lui désignant la maison.
—Ils parlent de toi, répondit-il après quelques secondes. Justin essaie de les convaincre que tu es l’amulette.
— Comment peux-tu être sûr de ce que tu dis?
—J’ai l’ouïe fine, mais la vérité saute aux yeux. Ils sont devenus tellement méfiants qu’ils ne prennent plus le temps d’utiliser leurs sens. La vue, plus précisément.
—Au risque de me répéter, je te repose question. Comment peux-tu en être sûr?
—Les yeux ne mentent pas Sasha. Justin t’en a déjà fait la remarque? Non? Alors permet moi de le faire. Pourquoi mettre des lentilles?
La perspicacité est une qualité que j’admire, mais dans certain cas, comme celui-ci, c’est une vraie plaie. J’ai les yeux améthystes depuis ma naissance, à en croire ma mère. D’où sort cette couleur? Aucune idée. Mon ophtalmologue n’a trouvé aucune explication plausible. Ma mère, ne voulant pas que je devienne le sujet des moqueries ou des préjugées des autres, m’avait fait porter des lentilles depuis l’enfance. A compter de ce jour, à part elle et l’ophtalmo, personne ne connaissait la vraie couleur de mes yeux. S’il n’y avait que ça… Parfois quand je me trouvais entourée par la nature dans laquelle les arbres et les animaux évoluaient, il m’arrivait de me sentir connecter à eux. Ça marchait parfois dans la société humaine. A ce moment, je pouvais percevoir leur état d’esprit qui pouvait très bien être positif, neutre ou carrément négatif. C’était effrayant en un sens, mais au moins je savais à quoi m’en tenir avec ces gens. Et encore, ça ne marchait pas seulement sur les humains.
— Je ne savais pas qu’il les voyait tels qu’ils étaient vraiment. Mais toi, comment as-tu su?
—Ils brillent quand tu parles de lui.
—Oh. Je vois, dis-je en tentant de masquer la rougeur que je sentais monter à mes joues. Attends, quand est-ce que j’ai parlé de lui?
—Et en ce qui concerne les autres, ne t’en fais pas.
Décidément, ils ont la mauvaise manie de me snober. Justin le lui a surement dit, alors je décide de laisser courir et de poursuivre la conversation.
—Facile à dire. Morgane  et Pascal ne me portent pas particulièrement dans leur cœur. Pour James, je n’en sais rien.
—Ils sont toujours comme ça, on s’habitue à force.
—J’ai remarqué que vous aviez chacun une chevalière, dis-je après un temps de silence. Elle vous protège du soleil vous aussi, comme pour Justin?
Avisant la sienne, il la regarda longuement. Se remémorant sans doute quelques souvenirs longtemps enfouis.
—Je suis désolée, repris-je, je ne voulais pas paraitre indiscrète.
—Ça va. Et oui, elle nous protège du soleil. Sans elle, nous ne pouvons pas nous y exposer sinon on part en fumée.
Vérifiant l’heure  une nouvelle fois je vis qu’il était sept heures moins dix. Je n’avais plus aucune raison d’être là, autant partir. En plus, il commençait à faire vraiment sombre. Je n’en voulais pas à Justin d’être resté à l’intérieur mais ça me faisait quand même un drôle d’effet. Je me levai et époussetai mes vêtements. Je me tournai vers Gabriel et le remerciai du temps qu’il m’avait accordé.
—Tu pars déjà, me demanda-t-il en se levant.
—Oui, je dois rentrer. Quand tu verras Justin, tu lui diras que j’ai dû partir.
—Hum, fit-il en regardant derrière moi,  ça ne va pas être possible.
—Pourquoi ?
Je me retournai et vis Justin sur le pas de la porte, scrutant les alentours d’un regard sombre qui enfin s’arrêta sur moi. Il marcha dans notre direction d’un pas pesant. Son expression indéchiffrable  n’annonçait franchement rien de bon.
—Excuse-moi, dit-il une fois à ma hauteur, ce n’était pas dans mes intentions de te faire attendre autant ni de cette façon.
—Je comprends, mais Gabriel m’a tenu compagnie entre-temps. Que s’est-il passé?
—Leur scepticisme les rend aveugles à une évidence plus que flagrante, dit-il en s’ébouriffant furieusement les cheveux.
Ça se voyait qu’il était contrarié. Gabriel, lui, m’a tenu à peu près le même discours. Ils croyaient en quelque chose dont moi-même je doutais.
—Parce que vous, vous y croyez encore, leur demandai-je en les regardant tour à tour. Sur quoi vous appuyez-vous pour dire qu’ils ont tort alors que pour ma part je nage en plein incertitude? Et ne me dites pas que c’est à cause de la couleur de mes yeux parce que n’importe qui pourrait les avoir.
—D’accord, fit Gabriel, on ne te le dira pas mais laisse-moi tout de même piquer ta curiosité. Justin n’a peut-être rien remarqué à ce moment-là mais ça ne m’a pas échappé.
—De quoi tu parles?  
Justin avait parlé en même temps que moi. Pendant un court laps de temps nos regards s’accrochèrent.
—C’est de mieux en mieux, dit Gabriel, interrompant l’échange muet entre Justin et moi.
—Gabriel, dit Justin, je n’ai pas que ça à faire alors arrête de tourner autour du pot et accouche.
—Très bien, puisque tu le demande si gentiment.  Sasha, dit-il en tournant son regard vers moi. Tu te rappelles, tout à l’heure quand tu as failli saute à la gorge de Pascal?
—Oui, où veux-tu en venir?
—D’accord, pour faire court, dit-il sur un ton où toute trace de moquerie avait disparue. Sous tes lentilles de couleur bleue, tes yeux améthyste ont virés à l’encre. Alors ton raisonnement disant que « n’importe qui pourrait les avoir » tombe irrémédiablement à l’eau.
—Tu ne parles pas sérieusement, demandai-je un bout d’un instant, abasourdie.
—Je n’ai même jamais été aussi sérieux.
—Justin, commençai-je.
L’intonation de ma voix avait surement du traduire le secours muet que je lui demandais, quelque chose pouvant démentir les dires de son frère. Mais rien ne vint de sa part, et pour cause…
—Je l’ai vu moi aussi, dit-il finalement.
Ce n’était évidemment pas la phrase que je m’attendais à entendre. Elle me fit l’effet d’un coup de poing en pleine poitrine. Je vacillai et le monde tangua dangereusement devant mes yeux. Justin vint m’apporter ses bras en soutien et je m’y appuyai avec reconnaissance. Je fermai les yeux en priant le ciel pour que la désagréable sensation de tournis cesse.
Mon Dieu. Un père disparu, une mère qui passait ses journées au boulot, une vie banale mais normale. Ça passait, mais maintenant? La personne sur laquelle je m’appuyais était un vampire, son frère en était un, de même que ceux qui se trouvaient dans cette maison. Alors, qu’est-ce qui n’allait pas chez moi? Voyons voir, mes yeux changeaient de couleur, j’avais un voisin louche qui comme par hasard se trouve être l’ennemi juré de Justin, même si je ne savais toujours pas pourquoi. Comme si ça ne suffisait pas j’avais des tonnes de questions qui se bousculent dans ma tête. La routine de ma vie avait été frappée par une tornade d’une grande puissance et les chances que les dégâts soient un jour réparés étaient tout à fait minimes pour ne pas dire inexistantes. Il n’y avait plus de  place pour l’ennuie, il y avait trop à faire. Autant dire que j’étais servie.
La voix de Justin me demandant comment je me sentais me tira de mes pensées démoralisantes. J’avais tout d’un coup un mauvais pressentiment qui me glaça le sang par son intensité. Il faisait noir à présent et je ne me voyais pas attendre seule la venue de mes amis.
—Ramenez-moi chez moi, tous les deux.
Ils se concertèrent du regard avant d’opiner du chef.

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