Chapitre 12

6 3 0
                                    

Le bruit est vraiment proche maintenant. Cette foule se rapproche de nous. Soudain, une des portes du fond s'ouvre avec fracas. Un homme court vers nous, une arme à feu à la main. Il porte un immense manteau gris. Son visage est partagé entre colère et panique. Une fois qu'il est à notre niveau, il me félicite essoufflé :

« Eh bien, vous voyez que je ne vous surestimais pas tant que ça. J'ai eu raison de vous faire confiance ! »

Il tapota la poche de son veston une fois de plus puis se tourne vers sa fille :

« エリザ、いさしぶり。

- はい、お父さんが元気ですか。

- ここから、すごいです。 »

Éliza affiche une mine dépitée tandis que son père sourit. Je ne sais pas vraiment comment l'interpréter mais cette scène me conforte dans l'idée que mon patron est un enfoiré. Il continue :

« エリザは外に行きたい?

- べつに...

- 行こう。

- なんで?

- お父さんが言ったから。 »

Mon patron qui s'était calmé se remet à s'activer d'un seul coup. Il court vers la table en criant pour couvrir le bruit qui s'intensifie à chaque seconde :

« Prenez-là, aidez moi à la porter, on l'amène dans la voiture. »

Il attrape son verre et versa le contenu dans une gourde qui provenait de la poche de son manteau.

« Vous tenez tant que ça à votre boisson ? lui demandé-je.

- Je vous l'ai déjà dit ! C'est du poison, ça peut toujours servir ! »

J'ai passé mes mains dans le sable, derrière le dos d'Éliza pour la porter une fois de plus. Son père prends la traîne de ma princesse dans ses bras. Il me guide à travers d'autre couloir, nous finissons par arriver dans un garage. À droite de la porte, il y a sur le mur un de ces fameux cadres représentant un sous bois. « Au moins, eux, ils ne vont pas me manquer, ai-je pensé. »

Nous portons Éliza jusqu'à l'arrière d'un pick-up noir. Puis nous l'attachons au véhicule avec plusieurs sangles. Éliza se laisse faire, elle ne rouspète pas. Mon patron m'ordonne de prendre le volant pendant qu'il cherche la télécommande de l'ouverture du portail. Le bruit assourdissant de la foule résonne sur les murs de la pièce. Ils doivent être juste derrière notre porte de sortie. Je tourne les clés et le moteur vrombit. Mon patron saute sur la place passager, claque sa portière, tout est prêt.

« Où est-ce que je vais ?

- Je vous guiderai, contentez-vous de rouler. Dès que j'ouvre la porte, vous partez. »

Il abaisse sa fenêtre et ressort son arme de son manteau. Dès que le portail s'entrouvre, le brouhaha m'explose les tympans. La lumière provenant elle aussi de cette ouverture m'éblouit. Pendant un instant, je ne sais plus où je suis. Des gens entrent et s'approchent. Un coup de feu me ramène à la réalité.

« Qu'est-ce que vous attendez !" me hurle mon patron. J'écrase l'accélérateur. Il avait tiré par la fenêtre, en direction de la foule et du ciel histoire de les disperser. Une fois dehors, il recommence. Les gens fuient ou se jettent sur le côté pour éviter que je les écrase. Je regarde souvent par le rétroviseur pour vérifier si Éliza ne tombe pas. Son père me donne ses directions pour sortir de la ville. On zigzague entre les bâtiments pendant plusieurs dizaines de minutes à une vitesse folle. Même si ce n'est pas le cas, l'adrénaline me donne l'impression que la foule entière nous poursuit.

Après avoir quitté la ville, mon patron m'ordonne de prendre la direction du fleuve. La route est droite, propre, sans virage. Elle me laisse le temps d'apprécier le soleil. Le soleil qui illumine mon visage. Ça fait si longtemps que je n'avais pas ressenti cette sensation. Je me sens tellement bien à cet instant précis, je n'avais pas remarqué à quel point ça m'avait manqué. Mais du coup, je me demande comment Shoujokaisou... non, Éliza ressent-elle ce moment ? Elle doit sûrement fermer les yeux.... "il ne faut pas regarder le soleil. »

La route nous avait menés jusqu'à la rive du fleuve. Un fleuve sauvage et puissant rempli de rapides. Mon patron qui avait déjà rangé son arme dans sa poche durant le trajet me demande de rouler vers l'aval, le long de la rive.

« Que vient-on faire ici ? lui demandé-je.

- Roulez.

- Vous avez une sorte de repère ou de base secrète, hein ?

- Nous vous inquiétez pas, répond-il en tapotant une fois de plus la poche de son veston, j'ai toujours une solution.

- Je vous fais confiance.... »

La voiture redémarre. Il y a énormément de galet sur le bord du fleuve, heureusement le véhicule est équipée pour ce genre de terrain mais le coffre doit quand même pas mal remuer. Éliza doit déguster....

Au bout d'une vingtaine de minutes, il me demande de m'arrêter. En jetant un œil en direction de l'eau, je peux admirer la fin de rapides d'une rare violence. Mon patron me demande de l'aider à détacher sa fille et il rajoute en me laçant un regard noir que je n'ai pas intérêt à lâcher brusquement les sangles élastiques. Éliza ne bronche pas, ses yeux sont ouverts. Ils nous observent faire avec un regard dur. Le regard d'un reine qui exige. Son père la porte, elle passe son coude derrière le tête de ce dernier pour être plus stable. Fixant le visage de son créateur d'un air impassible. Ni heureuse, ni en colère, ni triste, ni anxieuse, ni aimante, juste calme.

Ils marchent vers le fleuve, le bruit assourdissant de ce dernier m'empêche de les entendre parler alors je m'approche. Je suis spectateur de cette scène, j'essaye de rendre ma présence la plus invisible possible pour ne pas gêner. Mon patron s'est accroupi au bord de l'eau. Je commence à comprendre au milieu de son discours :

« .... que tu veux. Mais sache que tu es libre. Aujourd'hui, je te donne ce qu'au fond j'aurais aimé que tu aies toujours eu mais par égoïsme je te le refusais. Explore, découvre, rejoins l'océan. Tout ce trajet va être très dur et douloureux, mais profites-en. Fais ce que tu n'as jamais pu faire.

- Mais.... je ne veux pas de tout cela...

- C'est mon dernier cadeau Éliza, s'il te plaît, accepte le.

- Pour la dernière fois je m'appelle Shoujokaisou.... désespère-t-elle.

- Si tu le souhaites, je ne pourrais bientôt plus rien te dire. Vis ma fille, autant que tu le peux. »

Elle le fixe désormais avec un regard dont je me souviendrai toute ma vie. Une sorte d'expression qui se traduirai par :"Est-ce que tu te fous de moi ?" Ce regard, elle a dû me lancer un bon nombre de fois maintenant que j'y pense, mais trop pris dans mon rêve idyllique, je n'ai pas dû le remarquer. Je prenais une personne à la personnalité forte pour un bébé. Mon patron fait quelque pas vers l'avant et dépose sa fille sur le courant.

« さむい!s'écrie-t-elle énervée.

- La mer est plus chaude, lui répond-il. Maintenant va, ne te retourne pas. »

Elle me lance un dernier regard. J'aurai aimé avoir le cœur déchiré et voir une larme couler sur sa joue pour me témoigner son affection mais en réalité je me sentais juste bête. Et son regard doit sûrement être empli de mépris.

Elle s'en va, rapidement. Elle nous fuit comme si nous étions un danger. Elle jaillit à plusieurs reprises hors de l'eau. Sans doute car le fleuve ne devait pas être bien profond mais également, je pense, pour me montrer qu'elle n'est pas la petite chose fragile que je voyais en elle. Ses mouvements puissants et gracieux la montre comme un animal dominant. Patron du fleuve, patron de la mer si elle s'y rend, patron de tout ceux qui l'approche. Tout comme son père....

Nous restons debout, silencieux, tous les deux à la regarder partir. Le silence de nos bouches me donne l'impression que le vacarme des rapides ne cesse de s'intensifier lui aussi. Nous avons fuit un bruit assourdissant pour en trouver un autre.

Les algues vertes - 少女海草Where stories live. Discover now