Le monde gris

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Comme tous les vendredis après le collège, une fois chez lui, Théo pose son sac et part dans le petit bois. Il aime bien ce bois. Sa maison est l'avant dernière de l'impasse et sa fenêtre de chambre donne sur la rue, en s'y penchant vers la droite, il peut voir le bois. Actuellement, peu de personne y sont, ce ne sont que quelques personnes âgées ou des mères qui promènent leurs enfants encore trop jeunes pour aller à la maternelle, voire qui poussent une poussette ou un landau.

Après ce coup d'œil à la fenêtre, Théo quitte la maison en direction du bois. A peine une vingtaine de mètres pour arriver au bout de l'impasse qui se continue par un chemin de pierre vers le bois. A l'orée du bois, il prend une grande inspiration, il aime cette odeur, il s'y sent chez lui. Une large allée traverse le bois avec régulièrement des petites clairières dans lesquelles sont installées divers ateliers sportifs destinés aux joggeurs désireux de faire des exercices d'étirement et autres. Théo suit cette allée d'un pas nonchalant, perdu dans ses pensées.

Méthodiquement, sans vraiment y réfléchir, il exécute quelques un des exercices. Ici c'est une poutre, là des barres fixes, il y a également des passages de gués matérialisé par des ronds de bois dépassant du sol. Théo aime tester ses capacités et son agilité sur l'un ou l'autre des ateliers. Il est assez sportif et il entretient son corps. Il fait du judo et de la natation une fois par semaine. Après avoir couru sur la poutre du premier atelier, il saute de plot en plot sur le passage à gué. Puis il quitte le chemin de randonnée pour s'enfoncer un peu plus loin, à travers les fourrés, vers le grand chêne.

C'est le plus gros arbre du bois, il est à environ cinquante mètres du chemin et très peu de personnes viennent jusqu'à lui. De ce fait, c'est l'endroit préféré de Théo. Afin de garder son coin secret, il ne passe jamais par le même chemin pour y arriver, ainsi, il n'y a pas de sentier qui se forme à force d'un passage trop fréquent. Il connait chaque recoin de ce petit bois et c'est au pied de ce chêne qu'il a créé son havre de paix et de réflexion.

L'an dernier, lors d'une discussion avec le groupe des filles, et donc en présence de Chloé, il a évoqué ce grand chêne en mentionnant qu'il aimait s'y reposer, il espérait secrètement que Chloé en prenne note et vienne un jour le rejoindre. Il l'a longtemps attendu pour rien. Il en a conclu « soit elle n'a pas fait attention à ma remarque, soit elle n'est vraiment pas intéressée par moi ».

Pourtant il ne se trouve pas vilain garçon, il est même assez fier de son allure. Assez grand et costaud, les épaules carrés, le visage un peu rond, souvent souriant avec des yeux verts, les cheveux châtains foncés. L'année précédente, une de ses camarades, Lena, lui tournait autour. Elle était jolie et gentille, mais elle avait la réputation de sortir avec tous les beaux garçons du collège. Bien sûr cela n'allait pas loin, ils se contentaient de se promener main dans la main en se racontant des histoires et à se donner de temps en temps un petit baiser sur les lèvres.

Il avait été tenté de lui céder, histoire de pouvoir dire que lui aussi était sorti avec une fille et crâner devant ses camarades, histoire aussi de savoir ce que cela faisait de serrer une fille contre soi et de l'embrasser. Cependant, comme il était déjà amouraché de Chloé et qu'il avait peur que la présence de Léna la fasse fuir, il avait rejeté ses avances.

Depuis, il le regrette un peu car rien ne s'était passé avec Chloé et s'il avait embrassé Léna, alors son rêve avec Chloé aurait pu aller plus loin. Il ne tire aucune fierté du fait que Lena se soit intéressée à lui, mais c'est quand même un signe qu'il plait un peu aux jolies filles. En repensant à tout cela, il lâche tout haut « Chloé, pourquoi ne me regardes-tu pas ? ». Heureusement ou pas, mais personne n'est aux alentours pour entendre sa déclaration.

Arrivé au grand chêne, il s'assoit contre son tronc, du coté opposé au chemin, ainsi personne ne peut le voir. Il se laisse aller à ses pensées favorites. Tout d'abord Chloé, mais très vite, oubliant le cauchemar de la nuit dernière, il repense à tous ces livres parlant de jeunes héros parcourant des mondes parallèles fait de dragons, de vampires, de trolls et toutes autres bêtes féériques mais aussi féroces. Il adore vraiment cette littérature, elle stimule son imagination et lui permet de se construire, de se surpasser. Quand il nage à la piscine, il imagine qu'un banc de sirènes aux dents acérées le poursuit et il nage d'autant plus vite pour leur échapper. Au judo, quand il combat, il s'imagine combattre un troll qui le dévorera s'il perd.

Le monde grisWhere stories live. Discover now