Prologue

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      Pensif, je regardais le salon grouiller comme une fourmilière. Mes amis m'aidaient à décharger mes affaires. J'emménageais dans cet appartement, que j'avais déjà arpenté des centaines de fois. Je trouvais enfin ma place.

        Je parvenais difficilement à nommer ce que je ressentais : un mélange d'excitation et de stress. Je pouvais relier cette sensation aux montagnes russes dans les parcs d'attractions, ces quelques secondes juste avant la première descente. Cet instant précis où toutes nos entrailles se contractaient. La peur et l'euphorie ne faisaient plus qu'un. C'était exactement ce que j'éprouvais à cette seconde. Je me lançais dans le vide avec si peu de sécurité. C'était effrayant et grisant à la fois. Je passais d'une existence si terne à cette explosion de couleur.

- Izuku, on pose ça où ?

        Shoto me coupait dans mes réflexions. Mon meilleur ami me lançait un regard furtif avec un petit sourire d'encouragement. Il était au fait que le changement, ça n'avait jamais été réellement mon truc. Face à mon absence de réaction, il passait sa main dans ses cheveux bicolore, ce joli ton carmin et blanc. Il demeurait toujours comme ça, patient, attentif, me laissant du temps pour quitter mon monde intérieur. Je ne savais pas à quel point, je pouvais aimer cet homme.

- Dans la chambre, s'il te plait Sho.

        Sans attendre, il reprenait son activité. Je pouvais ainsi retourner dans mes pensées. J'essayais de me remémorer à quel instant ma vie avait basculé. Quand avais-je vraiment changé ? À quel moment apparaissait la fissure d'un avant et d'un après ? Je désirais marquer à l'encre indélébile cet instant. Néanmoins, j'avais conscience que c'était une multitude d'événements qui m'avaient conduit jusqu'ici.

       En regardant les jolies fleurs de cosmos à travers la fenêtre, des tonnes de souvenirs jaillissaient dans ma mémoire. Je pensais que tout avait changé à l'aube de mes trente ans.

       Je tentais de me rappeler qui j'étais à cette époque, un homme aux traits enfantin, ça, c'était certain. Mes cheveux bouclés noirs aux reflets verdâtres cachaient la moitié de mon visage. Je possédais un corps assez fin, peu musclé que je dissimulais sous des vêtements pas toujours saillants.

        À plus de 25 ans, je me connaissais finalement peu. J'avais constamment été quelqu'un de sage, sensible, assez docile. J'accomplissais inlassablement ce qu'on attendait de moi. J'identifiais mal mes désirs de toute façon. J'avais fait des études d'informatique, puisque « c'était un domaine porteur » et que je « n'éprouverais pas de difficulté pour trouver un travail ».

        Peureux comme il n'en existait peu, je faisais tout bien comme il faut, jamais de débordement. Mes parents ne m'avaient pas forcé, j'avais réalisé ça tout seul comme un grand. Je m'obstinais durant des années, sans jamais m'écouter. Je voulais simplement rentrer dans les cases, ni plus ni moins.

        Mon unique déviance résidait dans mon amour envers les hommes. Je considérais ça comme une tare dès mon entrée dans l'adolescence. Je cachais cette attirance à ma famille et mes amis en sortant avec des femmes pendant des années. Cependant, c'était trop pour moi, ça m'avait dégoûté. J'étais donc resté seul.

       L'inquiétude de mon entourage par rapport à mon célibat finissait par avoir raison de moi. Il fallait que j'entretienne une relation stable, puisque « j'avais l'âge ». Je devais cocher d'une certaine façon toutes les cases que la société attendait de moi.

       J'avouais une de mes plus grandes hontes de l'époque pour finalement rentrer dans une certaine norme. Ni ma famille ni mes amis ne paraissaient particulièrement étonnés par mon attirance envers les hommes. Ils semblaient heureux que je ne sois « plus seul, pour construire un avenir ».

Le temps des fleursWhere stories live. Discover now