Épilogue

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Océane

Cinq mois plus tard

Cravate ou pas cravate ? m'interroge Xavier en se détournant de son reflet pour me regarder.

Couchée à plat ventre sur notre lit, je relève les yeux de mes fiches de cours. Je fronce les sourcils quand il me montre une horrible cravate d'un rouge pimpant.

Tu vas dans un entretient d'embauche pour un poste dans une librairie, Xavier. Tu n'as pas besoin de cravate.

Ça fait toujours bonne impression.

Pas quand la cravate est rouge.

Il fronce du nez en se reconcentrant sur son reflet. Il porte la cravate à son cou, la retire, la remet, incline la tête sur le côté. Il finit par la jeter sur la table de chevet et enfonce les mains dans les poches de son jean. Les manches de sa chemise sont retroussées sur ses avant-bras, dévoilant son tatouage de colombe. Il a ajouté, il y a quelques mots, mon prénom en dessous. J'ai insisté pour qu'il ne le fasse pas, mais Xavier a la tête dure. Je me rappelle ses mots, qui m'ont touché en plein cœur.

Même si on n'est plus ensemble dans quelques années, je ne regretterais jamais d'avoir ton prénom marqué sur ma peau. Parce que je ne vais jamais regretter notre histoire. Tu es une part de moi, Océane Blaine, que tu le veuilles ou non.

Un sourire idiot étire mes lèvres et je baisse la tête avant qu'il ne le remarque. Je fais mine de lire mes notes de psychologie, mais le regard de mon copain me brûle la peau, accaparant chacune de mes pensées. Je sens sa nervosité d'ici. Depuis un peu plus de deux mois, il cherche un boulot, mais il se heurte continuellement à un refus catégorique.

Le matelas se creuse soudain sous moi. Je tourne la tête et mes prunelles se heurtent à celles d'un bleu profond de Xavier. Ses lèvres sont étirées en une petite moue, creusant des fossettes sur ses joues, et il me prend mes fiches des mains. Je proteste, mais il fait la sourde oreille et commence à les feuilleter.

T'as un roman qui sort dans deux semaines partout en librairie, mais tu t'évertues à vouloir devenir psychologue ?

En grognant, je lui reprends mes feuilles. Je plante ensuite mes coudes dans le matelas pour me redresse en position assise. J'amène mes cuisses contre ma poitrine, mes bras enroulés autour de mes genoux, et je le fusille du regard.

— Je veux aider les gens à aller mieux, Xavier. Ce n'est pas avec un roman que je vais y arriver.

Comme à chaque fois, le mot « roman » s'échappe avec peine d'entre mes lèvres. Je n'arrive toujours pas à croire que je vais publier un roman et qu'il sera disponible partout en librairie. Parfois, je me pince le bras pour m'assurer que je ne suis pas en train de rêver. J'avais d'abord commencé à écrire pour moi, quand j'étais venue vivre chez Xavier. C'était un moyen de passer le temps, de mettre en mots mes pensées les plus obscures. Ce qui devait d'abord n'être une lettre pour moi-même s'est transformé en récit. J'ai donné ma voix à un personnage, et il a commencé à raconter mon histoire à ma place. C'est Xavier qui m'a encouragé à l'envoyer à des maisons d'éditions – sincèrement, je ne pensais pas recevoir une seule réponse positive. Et j'en ai reçu sept. Sept contrats, sept entreprises qui croyait en moi. C'était...surprenant.

Mon petit ami roule sur le dos et tourne le visage vers moi. Je lève un bras pour écarter une mèche brune qui lui tombe devant les yeux. Un sourire étire ses lèvres, et je sens que les miennes font de même.

— Je suis fier de toi, me dit-il d'une voix douce.

Je sens ma gorge se nouer et je hoche la tête.

— Merci.

Ces cinq derniers mois n'ont pas été faciles pour moi. La mort de Céleste...ça m'a détruite. Je pensais pouvoir l'encaisser, mais j'ai passé les trois semaines suivant son enterrement à pleurer. J'avais l'impression que j'étais responsable de son suicide, que c'était ma faute. Et même si Xavier m'assurait le contraire, je n'arrivais pas à le croire. Je me sentais trop coupable. J'aurais pu empêcher ça. J'aurais dû être plus à l'écoute, la retrouver plus tôt.

Mais si j'ai été détruite par l'annonce de sa mort, Eden s'est complètement effondrée. Quand je ferme les yeux, je peux encore entendre son cri déchirant quand elle s'est ruée à l'hôpital et que les médecins lui ont barré la route. Elle n'a même pas eu la force de se rendre aux funérailles de sa sœur. Elle a déménagé le jour suivant chez Samuel, son copain. Je crois que vivre dans son appartement et côtoyer le fantôme de Céleste était trop dur pour elle. Et je la comprends. Moi aussi, vivre chez mon père après sa mort était un véritable supplice. Peu importe où je posais les yeux, je le voyais, lui.

— Tu es en train de ruminer, soupire Xavier, me sortant de mes pensées.

— C'est faux.

— Tu as le visage d'une personne qui rumine. Les plissures au front ne mentent jamais. Tu réfléchis à quoi ? À ma cravate ?

À son tour, il se redresse et ouvre un bras, m'invitant à me lover contre lui. Je m'exécute et il m'enlace la taille tandis que je pose la tête sur son épaule. Je croise son regard, puis oriente le visage vers le sien pour l'embrasser. Ses lèvres caressent les miennes et j'accueille à cœur joie le sentiment de béatitude qui me gagne et réchauffe mon sang.

— Je pensais à Céleste et à Eden. Tu crois qu'elle se porte bien ?

Xavier pose le menton sur le haut de mon crâne en soupirant. Eden a complètement coupé le contact avec nous. C'était sans doute trop difficile pour elle. De temps à autre, Samuel nous tient au courant, mais c'est devenu de plus en plus rare.

— Ça fait cinq mois. Même si on ne se remet jamais de la mort d'un proche, je suis sûr qu'elle se porte bien. Il le faut. Elle a promis à sa sœur de vivre pour elle, et je ne crois pas qu'elle va rompre sa promesse.

Je hoche la tête contre son torse et mon regard se perd dans le vague. Nous restons dans cette position plusieurs longues minutes, enlacés et cramponnés l'un à l'autre. Son cœur bat au même rythme que le mien et sa respiration se calle à la mienne. J'admire la symbiose que nous avons, lui et moi. C'est comme si nous deux, c'était une évidence. Le hasard ne nous a peut-être pas mis ensemble, mais notre amour nous a permis de rester ensemble, de nous retrouver. Peu importe l'endroit où il se trouve, mon cœur retrouvera toujours le chemin jusqu'au sien.

Notre histoire n'est pas un conte de fées. On a eu plus de bas que de hauts, mais on trouvait chaque fois le moyen de nous relever. Ensemble, main dans la main. C'était pas toujours beau. Il y a eu des moments moches, des taches noires sur notre tableau blanc. Pourtant, on a tenu bon. Malgré les non-dits, les secrets, les disputes. L'Amour avec un grand a, c'est ça. C'est le bon et le mauvais. Le terne et l'éclat. La douleur et la plénitude. C'est un ciel, parfois bleu, parfois sombre.

Nous faisons souvent des vagues. Notre océan n'est pas calme, mais c'est le nôtre. Parfaitement imparfait. J'ai mes blessures, il a les siennes, et nous sommes le remède de l'un et de l'autre. Il soigne mes maux, je bouche ses fissures.

Tout a commencé avec un faux numéro, puis le virtuel est devenu réel.

Et je ne suis jamais sentie aussi vivante.

Fin

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⏰ Last updated: Jul 12, 2021 ⏰

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